La vague de suicides dans les usines du taiwanais Foxconn en Chine a mis en lumière les conditions de vie éprouvantes des ouvriers d'un pays dont les manufactures ont fait la richesse depuis 30 ans, et suscité des appels à un changement du modèle de développement économique.

En cinq mois, 11 employés du fournisseur des plus grands groupes technologiques de la planète, comme Apple et Nokia, se sont suicidés. Un 12e est mort «d'épuisement», selon un groupe de défense des travailleurs, «après plus d'un mois de travail de nuit».

Les suicides «ont mis en évidence (...) le manque d'espoir de la nouvelle génération de migrants», ruraux qui s'exilent dans les centres urbains pour travailler, a estimé le sociologue Lu Huilin, de l'Université de Pékin.

«Ce n'est pas que le problème de l'entreprise, c'est le problème de toute la Chine. (...) C'est une question de société», a renchéri sa consoeur de l'Université Tsinghua, Guo Yuhua, après cette série de suicides évoquant celle de l'opérateur français France Télecom, dont une quarantaine de salariés ont mis fin à leurs jours depuis 2008.

«La Chine doit changer son mode de développement actuel où domine un faible niveau de droits de l'homme», a lancé Mme Guo, signataire comme Lu et sept autres universitaires d'un appel à «en finir avec un modèle de développement sacrifiant la dignité des gens».

Foxconn a soudain incarné tous les maux d'un développement basé depuis l'ouverture du pays sur les exportations, l'investissement, une main d'oeuvre surabondante et sous-payée, fabriquant à la chaîne les gadgets hors de prix des pays riches.

Malgré une croissance économique spectaculaire, la rémunération du travail a chuté par rapport à la richesse produite depuis le lancement des réformes économiques: elle représentait 56,5% du produit intérieur brut en 1983, mais 36,7% en 2005, affirmait récemment un responsable syndical.

Foxconn est à mille lieux des scandales d'esclavage éclatant parfois dans le pays. Moderne et propre, l'entreprise n'a rien non plus des nombreuses «usines à sueur» sur lesquelles les défenseurs des travailleurs chinois enquêtent clandestinement, publiant des photos révoltantes de locaux insalubres et dangereux.

Récemment, une enquête du China Labor Watch épinglait quatre fournisseurs du français Carrefour, géant mondial de la distribution, dont le fabricant de jouets Lanyu, à Dongguan (sud) qui «fait dormir ses travailleurs dans des dortoirs infestés d'insectes», «ne leur accorde que deux journées de repos par mois» et, «selon des témoignages, emploierait des mineurs de moins de 16 ans»...

Carrefour n'a pas souhaité commenter.

Pour Foxconn, en l'absence de toute information sur les véritables motivations des victimes, dont certaines avaient récemment intégré l'usine, «il faut être prudent avant de faire un lien entre suicides et conditions de travail», souligne le sociologue français Jean-Louis Rocca, en poste à l'Université Tsinghua.

Foxconn, c'est néanmoins une gestion quasi-militaire et un salaire de base mensuel de moins de 110 euros pour un travail abrutissant, affirme Li Qiang, directeur du China Labor Watch.

«Les suicides résultent d'une pression extrême, d'heures supplémentaires trop lourdes (...) La direction traite davantage les travailleurs comme des machines», indique Li Qiang à l'AFP.

«Les gens ne se rendent pas compte des conséquences que le travail à la chaîne peut avoir sur le moral des travailleurs. (...) On se préoccupe souvent peu de la manière dont on traite les employés : comme des êtres humains ou tout simplement comme des machines?», dénonce aussi Debby Chan Sze-wan, de Students and Scholars Against Corporate Misbehavior, une ONG de Hong Kong.