Ils font la file devant les magasins pendant des heures, se ruent à l'ouverture des portes avec leur carte de crédit en main puis ressortent tout sourire en brandissant leur nouvel achat. Qui sont ces gens qui se procurent tous les nouveaux produits technologiques?

Jonathan Grenier s'y connaît en file d'attentes. En 2006, il a attendu pour mettre la main sur la console Wii de Nintendo. En 2008, il a patienté dix heures devant un magasin de la rue Sainte-Catherine pour être le deuxième à obtenir un iPhone 3G. L'année suivante, il a encore fait le pied de grue pour un iPhone...3GS. Pourquoi se lancer ainsi pour obtenir ces produits en premier?

«C'est une combinaison de deux facteurs: c'est le fun de rencontrer des gens, c'est une expérience sociale. Mais c'est aussi parce que souvent ils manquent de stock rapidement, donc faire la file m'assure d'avoir le produit», explique le programmeur web, qui a déjà entre les mains un iPad acheté aux États-Unis.

On les appelle les «early adopters», ou acheteurs précoces. Jumelés aux «innovateurs», qui «achètent tout ce qui bouge», ils forment de 16 à 17% de la population.

«Ces consommateurs vont souvent être les premiers à aller acheter un produit», explique Sylvain Sénécal, professeur en marketing à HEC.

Régis Desrosiers se considère également comme un acheteur précoce. Il y a quelques années, il a mis la main sur un livre électronique de Sony grâce à la complicité d'un vendeur. «Il n'était pas encore disponible au Québec parce que la boîte n'avait pas été traduite en français. Le commis de la boutique me l'a vendu en cachette», raconte l'ingénieur électrique de 34 ans, qui utilise encore quotidiennement l'appareil pour lire dans le train.

Il affirme qu'il a tendance à s'intéresser «à plein de trucs avant tout le monde». «Je n'achète pas un produit pour dire je suis le premier à l'avoir. L'opposé, je trouve ça un peu gênant», dit Régis Desrosiers.

Jonathan Grenier reconnaît que sa nouvelle tablette électronique «part toujours une conversation», mais n'aime pas trop attirer les regards avec son iPad. «Je le sors dans des cafés internet, au bureau, mais pas dans les transports en commun. Ça attire trop l'attention», dit-il.

Professeur de marketing à l'université de Sherbrooke, Jean-François Guertin croit que malgré ce qu'ils en disent, les gens qui se précipitent sur les nouveaux produits aiment le statut qui vient avec le fait d'être parmi les rares à disposer d'une nouvelle technologie.

«C'est quelque chose qu'on n'avoue pas mais qui fait partie des bénéfices associés. Très peu vont être assez honnêtes pour l'admettre publiquement, mais c'est inhérent. C'est comme demander à Guy Laliberté s'il a été dans l'espace pour son égo ou pour la cause de l'eau», dit-il.

Les risques de la primeur



Parce qu'ils sont les premiers à s'intéresser aux nouvelles technologies mises sur le marché, les innovateurs et les acheteurs précoces courent des risques.

Parlez-en à Barthélémy Boisguérin, qui dans les années 90 s'est intéressé au MiniDisc commercialisé par Sony. Cette technologie de stockage audio a connu un succès au Japon mais n'a jamais trouvé assez d'adeptes en Amérique pour véritablement décoller.

L'homme de 28 ans n'a jamais regretté d'avoir acheté un lecteur MiniDisc. Il l'a même revendu. «Le temps que je l'ai eu, ça a fait mon affaire. J'ai été capable de le revendre avant qu'il ne vaille plus rien. Ça a été un bon coup, ça...»

Régis Desrosiers reconnaît quant à lui s'être «planté royalement» quand il a investi dans une carte graphique 3D pour son ordinateur, une nouvelle technologie a l'époque. Or, la carte qu'il avait choisie n'a jamais été supportée par les fabricants de logiciels: tout ce qu'il a pu lire en 3D sur son ordinateur a été le CD de démonstration fourni avec la carte graphique.

Il en rit aujourd'hui. «C'est l'exception. Ce n'est pas arrivé souvent.»

Être un «early adopter» peut couter cher, mais Barthélémy Boisguérin assure qu'il peut aisément résister aux nouveaux produits. «J'arrive à être raisonnable, mais il y en a qui ne le sont pas. Je considère qu'il y a des gens qui sont plus fous que moi!»