À la rentrée des classes l'automne dernier, les élèves de l'école Wilfrid-Bastien étaient sans doute fébriles, heureux de revoir leurs amis et de rencontrer leurs professeurs.

Mais ils ne pouvaient l'être autant que Pierre Poulin et François Bourdon, deux enseignants de sixième année de cette école publique de Saint-Léonard. C'est assis dans la classe qu'ils ont attendu l'arrivée de leurs 25 recrues, prêts à guetter leurs réactions.

«Je me rappelle du visage des élèves. Ils disaient "c'est un café internet? C'est vraiment ici notre classe?"», raconte Pierre Poulin.

Les enfants venaient de découvrir le local dans lequel ils allaient passer l'année scolaire. Un local qui n'a rien à voir avec ceux auxquels ils ont été habitués. Dans la classe de monsieur Pierre et monsieur François, il n'y pas de pupitre alignés, seulement des tables rondes sur lesquelles sont posés des ordinateurs portables. Il y en a un pour chaque élève.

Cette classe, l'enseignant Pierre Poulin la rêve depuis longtemps.

«C'est un projet majeur, auquel je pensais depuis plusieurs années. Au printemps dernier, l'occasion de créer une classe fondée sur la technologie pour les apprentissages s'est présentée», dit-il.

Son cousin venait de lui dire que l'entreprise pour laquelle il travaille avait une quinzaine d'ordinateurs portables à donner. Il n'en fallait pas plus pour que l'«Hyperclasse» voit le jour.

Les manuels scolaires ne sont pas légion dans cette classe et le tableau vert qui est accroché au mur ne sert que rarement. On lui préfère un tableau numérique, un «smart board».

Toutes les notions que doivent apprendre les élèves passent par l'informatique. L'anglais? Plutôt que de parler entre eux avec un accent à couper au couteau, les enfants conversent via une caméra web avec de «vrais» anglophones de leur âge qui sont en Colombie-Britannique.

Les mathématiques? On calcule tout en apprenant la programmation de petits robots qui doivent se promener sur un parcours bien précis.

Une classe «normale»

Les élèves qui font partie de cette classe n'ont pas été triés sur le volet.

«Je voulais une classe qui soit normale, avec des cas problèmes, des élèves en difficulté d'apprentissage, des élèves doués. Je voulais voir si j'arriverais à faire travailler tout ce monde ensemble et à voir du progrès», explique Pierre Poulin.

À voir les jeunes de 11 et 12 ans plancher sur leur logiciel de programmation lors du passage de La Presse, le pari des enseignants semble réussi.

«Des fois, mes amis ne me croient pas quand je leur dit que je fais de la programmation», dit Paul-Simon Omombo, 12 ans.

Comme plusieurs de ses collègues de classe, il qualifie de «motivant» le fait d'être dans cette classe un peu spéciale.

«Ça motive beaucoup de travailler avec les ordinateurs, comparativement à lire seulement des bouquins», dit Nessrine Aouissi.

Bien que la technologie prenne toute la place dans la classe branchée de l'école Wilfrid-Bastien, les élèves ne sont pas en voie de devenir illettrés pour autant.

Ils ne tiennent presque plus de crayon entre leurs mains et pourtant, «ils n'ont jamais autant écrit», dit l'enseignant François Bourdon.

Blogues, comptes Twitter, lipdub diffusé sur YouTube : les jeunes de l'Hyperclasse diffusent leurs travaux scolaires à tous ceux qui veulent bien s'y intéresser. Il s'agit là d'un facteur de motivation important, affirme Mario Asselin, ancien directeur d'école qui s'intéresse aux technologies de l'information en éducation.

«Lorsqu'on fait son travail pour la planète plutôt que pour son professeur ou ses parents, ça change la perspective, dit-il. Un jeune d'aujourd'hui n'a pas de limites dans sa tête.»

Raccrocher les professeurs

La classe branchée ne fait pas que motiver les élèves, elle amène également d'autres enseignants de l'école Wilfrid-Bastien à considérer l'utilisation des nouvelles technologies en classe.

«Imposer les nouvelles technologies aux professeurs, ça ne marche pas. Il faut trouver comment aller les chercher», dit Isabelle Massé, la directrice de l'école.

On a donc instauré les MacMidis, des lunchs pendant lesquels les enseignants de l'école Wilfrid-Bastien sont invités dans l'Hyperclasse pour se familiariser avec les ordinateurs. Des élèves sont présents pour les aider. C'est l'école à l'envers.

Au départ, certains professeurs ne venaient que pour manger. Quelques mois plus tard, ces mêmes profs ont des projets dans leur classe qui impliquent l'utilisation des nouvelles technologies.

«Dans le fond, on voulait trouver une façon d'amener les autres professeurs à essayer l'informatique sans avoir peur. Maintenant, on est en train d'embarquer des profs qu'on ne pensait jamais voir», dit François Bourdon.

Ce projet réussi, Pierre Poulin rêve maintenant d'une école où toutes les classes seraient aussi branchées que la sienne.

«C'est un projet à long terme. Mieux vaut y aller tranquillement que de précipiter les choses. On ne veut pas que ça plante non plus.»

Dans la classe de monsieur Pierre et monsieur François, le langage informatique n'est jamais bien loin.