A contre-courant d'un secteur informatique qui fait grise mine, le logiciel libre avance ses pions à la faveur de la crise qui incite les entreprises à faire des économies et met ainsi au défi ce jeune marché de faire ses preuves.

Dans les allées du salon «Solutions Linux» dédié au système d'exploitation libre d'accès Linux et aux logiciels libres («open source») qui se tient jusqu'à jeudi porte de Versailles à Paris, le ton est plutôt à l'optimisme.À l'inverse des logiciels sous licence, dominés par Microsoft, ces solutions offrent un accès à leur code source (leur «noyau»), ce qui permet à tous de les utiliser et surtout de les transformer.

«Le nombre de contacts spontanés a quasiment triplé entre début 2008 et aujourd'hui», relève Nicolas Barcet, de la société Canonical qui fournit Ubuntu, une des versions les plus connues de Linux, adoptée notamment par la gendarmerie et l'Assemblée nationale.

«Avec la crise, les grands comptes et l'administration semblent accélérer le pas, motivés par les réductions de coûts», assure-t-il.

Selon une récente étude menée par le cabinet de marketing IDC pour le distributeur de logiciels libres Novell, «plus de la moitié des responsables informatiques interrogés prévoient d'accélérer l'adoption de Linux en 2009», mettant en avant des «facteurs économiques».

Certains hésitent cependant toujours à se convertir, rebutés par «le manque de prise en charge des applications et la mauvaise interopérabilité avec Windows et d'autres environnements».

Pour Eryck Perez, un des dirigeants du groupe américain Novell en France, «fatalement on constate un peu d'attentisme en ce début d'année», mais les entreprises ont désormais «la maturité nécessaire pour faire évoluer leur système d'exploitation vers un monde plus ouvert».

Une confiance confirmée par les prévisions des analystes: le marché français, le plus gros d'Europe, devrait croître de 38% en 2009 pour atteindre 1,5 milliard d'euros, puis de 32% en 2010, après une hausse de 51% l'an dernier, d'après la société d'études Pierre Audoin Consultants.

«Alors que nous prévoyons globalement une croissance nulle» du secteur informatique cette année, «par contre nous pensons que le logiciel libre ne subira pas tellement d'impact» de la récession, note l'analyste Mathieu Poujol.

Outre les raisons budgétaires déjà évoquées --même si le coût final n'est pas forcément moins important, précise-t-il--, les entreprises estiment qu'un tel choix leur «permettra de garder des emplois d'informaticiens en interne» au lieu de sous-traiter les prestations, un argument nouveau apparu avec la crise.

Le contexte économique «met un coup de projecteur sur l'open source», reconnaît Véronique Torner, co-présidente d'Alter Way, une des entreprises du secteur qui compte dans ses clients de grands groupes tels que Bolloré, Décathlon ou EDF.

«Mais il faut être capable d'en relever les défis, il faut mûrir», prévient-elle. Parmi les axes de transformation, elle préconise d'«accélérer la consolidation» d'un marché trop fragmenté, de donner plus de visibilité aux directeurs informatiques en adoptant une «démarche plus industrielle» et de continuer à innover.

Trop souvent placé sur le terrain idéologique et associatif, le monde du logiciel libre doit, selon M. Poujol, «se professionnaliser beaucoup plus» pour réussir sa mue.