La société Skype est accusée de laisser les autorités chinoises espionner les utilisateurs de ses services de messagerie sur internet, relançant la polémique sur les compromis qu'accepteraient des groupes technologiques occidentaux pour s'implanter en Chine.

TOM-Skype, une coentreprise formée par Skype (filiale d'eBay) et la société chinoise de télécommunications TOM Online, stockerait des échanges écrits de ses utilisateurs, sélectionnés via des filtres comme «Tibet» ou «parti communiste», selon une étude publiée par des chercheurs canadiens.«TOM-Skype censure et enregistre des messages contenant des mots clés sensibles, et pourrait se livrer à une surveillance plus ciblée», affirme ce rapport d'un groupe de recherche de l'université de Toronto, Citizen Lab.

Skype s'est dit jeudi «profondément désolé» de la divulgation des données concernant ses utilisateurs, indiquant à l'AFP que des modifications avaient été apportées au système à son insu.

«En Chine, TOM Online est le partenaire majoritaire de notre coentreprise», s'est défendu un porte-parole dans un courriel à l'AFP.

Skype a reconnu qu'un dispositif bloquant la diffusion de messages contenant certains mots, annoncé publiquement en avril 2006, avait été «changé à notre insu et sans notre accord».

«Nous nous occupons de cette situation de toute urgence avec TOM», conclut la société.

Les autorités chinoises gardent un oeil très attentif sur l'utilisation des nouvelles technologies, en pleine explosion. Durant les jeux Olympiques d'août dernier, elles avaient censuré plusieurs sites internet, comme ceux de l'ONG Free Tibet et d'autres portant sur la répression sanglante de la place Tiananmen en 1989.

Pour les utilisateurs de TOM-Skype, des conversations portant sur le statut de Taïwan, la secte Falun Gong et l'opposition au parti communiste chinois, des thèmes particulièrement sensibles pour les autorités chinoises, seraient non seulement systématiquement filtrées, mais aussi stockées, selon le rapport publié mercredi au Canada.

«Ces messages écrits, tout comme des millions de données personnelles, sont stockés dans des serveurs non sécurisés et accessibles au public», accusent les universitaires, qui ont eux-mêmes pu y accéder, en dénonçant la «confiance trahie» des utilisateurs.

Cette affaire rappelle celle de Yahoo!, qui a été accusé d'avoir fourni aux autorités chinoises les identités de «cyber dissidents» au début de la décennie.

Le Congrès s'était saisi de l'affaire. Le PDG de Yahoo, Jerry Yang, avait finalement décidé en novembre 2007 de créer un fonds en faveur des «cyber-dissidents», après la signature d'un accord amiable avec les avocats de deux d'entre eux, Shi Tao et Wang Xiaoning, emprisonnés depuis 2004 et 2002.

Le rapport publié mercredi ne donne en revanche pas d'exemple où la surveillance des utilisateurs de Skype aurait débouché sur des arrestations. Il se contente de poser la question: «dans quelle mesure TOM Online et Skype coopèrent-ils avec le gouvernement chinois pour surveiller les communications de militants, de dissidents et de citoyens ordinaires?"

En revanche, ses auteurs notent que les informations stockées sont tellement vastes que les possibilités d'espionnage sont d'une ampleur sans précédent.

Ils soulignent notamment que certaines conversations ont été stockées en l'absence de mots-clés suspects, «laissant entendre que d'autres critères, comme des noms d'utilisateurs spécifiques, pourraient déterminer si certains messages sont visés par le système».

Leur rapport est disponible en ligne sur le site internet Information Warfare Monitor (format PDF).