Dans le plus grand pays du monde, l'avenir de l'économie tient dans des objets mesurés en milliardièmes de mètre. C'est en tout cas ce qu'affirme le gouvernement russe, qui affiche des ambitions quasiment dignes de la Silicon Valley.

«Je crois que nous pourrons bientôt donner au monde autre chose que les technologies militaires, la vodka, les satellites et la perestroïka», a solennellement annoncé le chef du groupe public russe de nanotechnologies Rosnanotekh, Leonid Melamed, lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg le week-end dernier.

«Ces inventions vont partir à la conquête du monde», a-t-il affirmé.

De fait, la Russie s'est mise à déverser des milliards de dollars dans les nanotechnologies dans l'espoir de se hisser au tout premier rang dans ce secteur en plein boom, et concurrencer le Japon et les Etats-Unis.

Créé en 2007, Rosnanotekh s'est vu attribuer un budget de 5 milliards de dollars (3,2 milliards d'euros), un niveau de financement sans précédent pour la science russe depuis la chute de l'URSS. Son rôle est de rendre les inventions des scientifiques russes commercialement viables et d'encourager l'investissement privé.

Le projet est fermement soutenu par Vladimir Poutine, l'ancien président devenu Premier ministre: selon lui, les nanotechnologies sont un «vecteur-clé du développement de l'industrie et de la science».

Le terme nanotechnologies regroupe les technologies utilisant des structures minuscules, mesurées en nanomètres, c'est-à-dire en milliardièmes de mètre.

Dotée d'un gigantesque stand au Forum de Saint-Pétersbourg, Rosnanotekh a pu présenter aux investisseurs plusieurs innovations comme une caméra thermique capable de détecter des cancers ou un détecteur conçu pour repérer les fuites sur les oléoducs.

La réussite de ce secteur sera une épreuve-clé pour une Russie décidée à réduire sa dépendance envers les hydrocarbures et retrouver son excellence scientifique de jadis.

Motivés à la fois par les consignes du régime et par leur idéalisme, les savants soviétiques avaient été à la pointe dans nombre de domaines dont celui de l'espace, mais leurs travaux avaient toujours eu une orientation plus militaire que civile.

Face à la suppression du financement public lors de la chute de l'URSS en 1991, des centaines de milliers des savants russes avaient émigré à l'étranger, notamment dans la Silicon Valley aux Etats-Unis. Abandonnés, leurs instituts de recherches ont pour la plupart végété.

Malgré l'enthousiasme officiel de rigueur aujourd'hui, certains investisseurs demeurent pourtant sceptiques: ils soulignent que l'Etat ne fait toujours pas mine de vouloir accroître son financement à la science et qu'à ce rythme la remise à niveau du secteur scientifique pourrait prendre des décennies.

«La science a besoin du soutien de l'Etat. Pour le moment, cela ne se produit tout simplement pas», déplore Mikhaïl Chtcherbakov, directeur de l'Institut des Sciences de Moscou.

D'autres redoutent que l'argent ne soit gaspillé: «C'est un peu comme une voiture. Il faut que les roues, le châssis et le moteur travaillent ensemble. Puis, quand vous mettez du carburant, ça marche», souligne Kirill Gogolinski, chercheur à l'institut de recherche TISNUM, dans les environs de Moscou.

«Le constraste avec l'industrie énergétique est évident. Les technologies exigent un investissement à long terme, tandis que l'investissement dans l'énergie donne très vite des résultats: il suffit de creuser un trou et d'ouvrir le robinet».