D'aucuns croient que la progression de l'internet est encore météorique. Que le Web 2.0 est déjà supplanté par le 3.0. Que Facebook, LinkedIn et autres MySpace mobilisent chaque jour de nouvelles nations d'adeptes. Que les sites collaboratifs ne cessent de gagner du terrain sur la Toile. Pourtant...

D'aucuns croient que la progression de l'internet est encore météorique. Que le Web 2.0 est déjà supplanté par le 3.0. Que Facebook, LinkedIn et autres MySpace mobilisent chaque jour de nouvelles nations d'adeptes. Que les sites collaboratifs ne cessent de gagner du terrain sur la Toile. Pourtant...

Professeur titulaire au département de marketing de l'Université Laval (et conférencier aux Rencontres Infopresse il y a deux semaines), Stéphane Gauvin manifeste un réalisme (virtuel) désarmant, ce qui justifie amplement cette interview.

Observateur rigoureux des tendances actuelles sur la Toile, il dégage les tendances qui suivent.

D'abord la connectivité: «La population de gens connectés sur l'internet, fait-il remarquer, est restée stable dans les pays développés depuis plus ou moins 2002, soit environ 700 millions d'internautes selon Nielsen. La croissance récente vient essentiellement de la Chine et l'Inde, qui se connectent depuis peu. Ainsi, on compte 1,1 milliard d'humains connectés à l'internet sur la planète entière; on prévoit atteindre 1,5 milliard d'ici quatre ans.»

Il faut ainsi comprendre que la croissance de l'internet n'est pas si fulgurante dans les marchés émergents, et qu'elle plafonne dans les pays riches. Et pour cause : «Lorsque le revenu moyen d'un individu est d'environ 1000$ par an, il n'envisage pas de s'acheter un ordinateur portable et de se payer une connexion internet haute vitesse. Et si, en plus, il a du mal à lire, ce produit ne l'intéresse pas...»

En fait, tient à préciser Gauvin, c'est plutôt le téléphone cellulaire qui est en hausse au chapitre des technologies numériques de communication.

«Deux milliards et demi d'êtres humains possèdent un téléphone portable, on pense en vendre 1,3 milliard cette année (beaucoup de remplacements) et l'on se dirige vers la moitié de l'humanité pourvue de téléphones portables, soit trois milliards d'abonnés d'ici la fin de l'année. Il faut néanmoins souligner que les smart phones, c'est-à-dire les téléphones capables de se relier à l'internet, ne représentent que 15% du marché de la téléphonie mobile.»

Si Stéphane Gauvin croit que l'internet est LE médium qui va transformer les pratiques communicationnelles, quelques bémols se sont glissés dans sa rhétorique : «J'ai un peu changé de ton à l'écoute de nouveaux points de vue, notamment celui du célèbre essayiste Tariq Ali, interviewé le 28 janvier à l'émission Ideas (CBC Radio One) dans le cadre d'un billet intitulé New Wars and The New Media. J'étais sûr qu'il aborderait le phénomène des blogues et autres manifestations nouvelles de l'internet... Pas du tout! Pour lui c'était encore la télévision qui façonnait l'imaginaire socio-politique.»

Autre constat étonnant de Stéphane Gauvin: le plafonnement d'importants sites communautaires, tel qu'analysé sur www.alexa.com, firme spécialisée dans l'analyse du trafic sur l'internet.

«MySpace a atteint un plateau au milieu de 2007 pour amorcer une décroissance. Facebook a aussi plafonné à la fin de la même année, mais sa décroissance serait moins marquée. Il n'y a pas de raison de croire que ces courbes vont basculer d'une manière spectaculaire au cours des prochaines semaines.»

Gauvin affirme en outre que Second Life s'est écrasé à cause de problèmes de désordre interne et du peu d'inputs des capitaux de risque pour faire évoluer le site (le marché étant jugé trop spécialisé), alors que World of Warcraft, mieux encadré, connaît une croissance constante. Quant aux blogues, ils sont aussi en bonne santé puisque leur courbe est toujours ascendante.

Mais la croissance la plus fulgurante sur l'internet, selon lui, c'est YouTube et le phénomène des sites d'hébergement audiovisuel. «YouTube est en train de devenir la plateforme qui va générer le plus de trafic sur l'internet.»

Ainsi, Stéphane Gauvin nous prévient de toute vision naïve de l'internet.

«Il y a un dérapage quant à l'importance surestimée des réseaux sociaux et du Web social en général. Le contenu généré par les utilisateurs est une forme d'utopie qui peut être comparée aux idéaux socialistes avant qu'ils ne soient pervertis par les régimes autoritaires. L'internet n'est pas une vaste communauté où tous évoluent main dans la main, où tous s'expriment à parts égales. Le Web social qui émerge de la communauté s'avère plutôt fragile, bien que les gens manifestent une envie certaine de communiquer. Mais ce qui marche le plus, ce sont des choses comme YouTube, où l'on peut contribuer mais aussi consommer.»

Ce réalisme ne démotive pas Stéphane Gauvin quant aux potentialités collaboratives de la Toile. «Je pense que les blogues représentent un phénomène important, j'en ai moi-même un (www.gauvin.net). Je pense que la télévision et les journaux sont profondément transformés par l'internet. Je pense (encore) que les individus ont plus que jamais le pouvoir d'y faire une différence significative, mais...»

Pour voir les graphiques statistiques exposés par l'interviewé :

https://132.203.46.219/podcasts/infopresse2008.pdf