J'aimerais bien comprendre la stratégie YouTube et savoir si c'est un modèle d'affaire rentable.

J'aimerais bien comprendre la stratégie YouTube et savoir si c'est un modèle d'affaire rentable.

YouTube suscite énormément d'intérêt ; tout d'abord auprès des internautes qui y placent leur(s) vidéo (près de 65 000 par jour) et ensuite auprès des gens qui viennent au site pour les regarder (près de 100 millions de séquences vidéos sont regardés par jour).

YouTube amène bien des questions en ce qui a trait au montant que Google a payé (1,65 milliards de $ US) pour l'acquérir. Montant important ; mais également cet achat relançait les espoirs les plus grands quant à la valeur des entreprises sur Internet, après la débâcle du début des années 2000.

YouTube créé l'espoir que le Web 2.0, les communautés virtuelles et les contenus générés par les utilisateurs d'Internet («user generated content») soient la voie de l'avenir pour stimuler une forte expansion du commerce électronique. Le marché de la vidéo en ligne est en forte croissance en termes d'utilisation et on prévoit qu'en 2010, ce type de vidéo correspondrait à environ 55% de l'ensemble des vidéos que les américains regarderaient (en ligne ou non) par rapport à 47% aujourd'hui. Par contre, les revenues n'y sont malheureusement pas au rendez-vous pour l'instant et seront difficiles à générer, même dans l'avenir. Ils seraient d'environ 775 millions de $ aujourd'hui (2,6% des dépenses totales en publicité sur Internet) et passeraient à environ 2 900 millions de $ en 2010 ou 11,5% des dépenses totales en publicité sur Internet (Internet Video : Advertising Experiments and Exploding Content, eMarketer, November 2006). Les experts s'entendent pour dire que l'achat de YouTube par Google va stimuler ce marché. Essentiellement, ces revenus proviennent de la publicité vendue (User-generated online video comes into focus, eMarketer, January 18, 2007).

Les promoteurs de ce type de vidéo devront pour survivre générer des revenus provenant

1- de la publicité,

2- des droits de contenu («licensing»)

3- de la vente ou location de contenu digital,

4- d'abonnements au service de vidéo en ligne ou

5- de droits liés à la technologie.

Ce n'est donc pas évident de tirer des revenus de ce type d'activités – des revenus provenant de contenus générés par des amateurs. N'oublions pas que malgré la forte croissance de la publicité dans les vidéos, cela représentera seulement 3,3% des dépenses de publicité à la télévision en 2010 (0,6% aujourd'hui). C'est pour ces raisons que l'association YouTube et Google prend son sens pour plusieurs experts. Avec diverses ententes avec des diffuseurs et producteurs de contenu (CBS, Universal Music Group, Sony BMG), YouTube ajoute un contenu professionnel au contenu personnel et amateur YouTube vs. Boob Tube, Wired, https://www.wired.com/wired/archive/14.12/youtube_pr.html).

YouTube et autres sites misant sur les usagers qui génèrent la matière première font face à quelques autres défis, qui eux suscitent de l'inquiétude chez les annonceurs et les investisseurs. Tout d'abord, ces organisations doivent avoir la capacité d'absorber un contenu énorme et dont la croissance est «exponentielle». Ensuite, ces sites peuvent contenir du matériel ‘illicite' (en son sens large), principalement lié aux respects des droits d'auteur (par exemple, Viacom a intenté une poursuite d'un milliard de $ contre YouTube) et aux contenus à teneur sexuelle, raciale, etc. (Technology Predictions, TMT Trends, Deloitte, 2007). Également, plusieurs prévoient pour ces sites à très grande viabilité financière, la fin du contenu qu'ils se procurent gratuitement auprès des usagers (Telecommunications Predictions, TMT Trends, Deloitte, 2007). On devra imaginer des formes de compensation pour les producteurs de contenu amateurs. Finalement, les promoteurs de ce type de vidéos doivent trouver le moyen de sortir du créneau des 24 ans et moins (et parfois même plus des plus jeunes) pour accroître leurs revenus

YouTube (avec ou avant Google) a déjà commencé à examiner ces divers éléments. Déjà en début 2007, YouTube annonçait qu'elle étudiait divers moyens de rémunérer ses usagers, selon possiblement la visibilité que leurs vidéos pourraient avoir ou générer (10 Explication of YouTube's Revenue Sharing Model, January 2007, https://notetaker.typepad.com/cgm/2007/01/hurley_speech.htm).

Pour augmenter ces revenus, YouTube a signé une entente pour louer son contenu digital et le diffuser sur les appareils cellulaires de Verizon (YouTube to show on Verizon Mobiles, FT.com, November 28, 2006). Pour contrôler le contenu (droits d'auteur) et étendre son offre de contenu sur son site, YouTube signe des ententes de distribution avec plusieurs studios ou diffuseurs, dont entre autre la BBC qui s'engage à «ouvrir» trois canaux de diffusion sur YouTube (YouTube in video alliance with BBC, FT.com, March 2, 2007). Warner Music a plutôt négocié que les vidéos contenant de ses chansons / musiques soient complètement retirées de YouTube ou si maintenues en ligne sur YouTube, il devait y avoir partage des revenus publicitaires (Interview transcript : Chad Hurley, CEO of YouTube, FT.com. October 8, 2007).

On voit donc que YouTube avec Google se positionne clairement pour affronter les défis auxquels ce type de modèle d'affaires est confronté. En fait, l'achat par Google lui donne le moyen de ses ambitions – ambitions grandement motivé par l'immense communauté desservie.

Modèle original de YouTube

«We wanted to really build a true community around video» (10 Explication of YouTube's Revenue Sharing Model, January 2007, https://notetaker.typepad.com/cgm/2007/01/hurley_speech.htm). Voilà comment le chef de la direction de YouTube présente l'objectif de l'organisation à ses débuts. Le but global de YouTube était de mettre en place les moyens technologiques qui permettraient aux gens de partager leurs vidéos avec d'autres personnes. YouTube ne voulait pas contrôler le contenu. On jugeait que le simple fait de laisser les internautes y mettre leurs vidéos, les soumettre au jugement des visiteurs du site et les laisser les commenter assurait que les meilleures vidéos ressortiraient de la masse (Interview transcript : Chad Hurley, CEO of YouTube, FT.com. October 8, 2007). Originalement, il n'était pas prévu que la publicité se retrouve à l'intérieur des vidéos. On voulait développer un système différent. Avec l'arrivée de Google, à peine vingt mois après la création de YouTube, un marché de 80 milliards de $ en publicité Web et TV ainsi qu'une longue série de nouvelles applications s'offraient ainsi à eux.

L'apport de Google

Le 12 octobre 2006, le chef de la direction de YouTube disait (Google and YouTube : Why?, eMarketer, October 12, 2006) :

«Our community has played a vital role in changing the way that people consume media, creating a new clip culture. By joining forces with Google, we can benefit from its global reach and technology leadership to deliver a more comprehensive entertainment experience for our users and to create new opportunities for our partners.»

Lors de la même conférence de presse, Eric Schmidt chef de la direction de Google soulignait :

«The YouTube team has built an exciting and powerful media platform that complements Google's mission to organize the world's information and make it universally accessible and useful.»

Google a su développer des liens précieux avec des annonceurs de toutes les tailles (liens que l'entreprise tente d'élargir à la publicité hors Web). YouTube amène un univers propre à fort potentiel de visibilité et de circulation. De plus, YouTube a accès à une communauté très importante et de plus en plus diversifiée.

Google possède une technologie de recherche qui peut être éventuellement étendu à la vidéo. YouTube a accès à un réseau social qui créé du contenu et l'évalue ensuite lorsqu'en ligne. On y combine ainsi un bassin immense d'usagers et grands annonceurs, dont les budgets publicitaires passent dans une certaine proportion de la télévision à l'Internet.

Le modèle d'affaires (actuel et en développement) présente les caractéristiques suivantes:

Nouvelle plateforme publicitaire dans un marché en forte croissance (vidéo en ligne) qui grugera selon les prévisions une partie des dépenses publicitaires en ligne et à la télévision. Les ententes avec les diffuseurs et producteurs permettront d'en accaparer une grande part;

Le modèle de recherche («search business», par encan) de Google pourrait être étendu à la vidéo et rapporter des revenus publicitaires importants de la même façon qu'il le fait actuellement;

YouTube a des stocks de vidéos (archives) des plus importants et qui pourront être vendus, loués ou offerts en abonnement à des individus ou des organisations;

YouTube a accumulé des données sur ses utilisateurs qui pourront permettre de vendre de la publicité très ciblée (autre que par la recherche – ‘search business') aux annonceurs et publicitaires;

Google pourra offrir des produits publicitaires plus diversifiés et pourra produire ses propres contenus originaux qui seraient diffusés par ses partenaires (diffuseurs); et,

Google pourrait permettre aux diffuseurs ou producteurs de contenu d'ajouter de la publicité à leurs émissions ou aux clips qu'ils placeront sur YouTube ou aux clips qu'ils récupèreront de YouTube et qu'ils pourront diffuser dans leur propres média.

Google pourra même bénéficier du fait qu'habituellement les vidéos circulent grandement à travers le Web. Ces vidéos se retrouvent même sur des sites concurrents comme AOL ou Yahoo!

Conclusion

L'an dernier YouTube a généré 15 millions de $ de revenus. Bien peu comparé au montant de l'acquisition par Google. Il y a donc beaucoup plus à cet achat que ces premiers revenus. «The search giant rewrote the rules of distribution and selling ads. The big movie, TV and print outfits may never catch up» (Google Gooses Big Media, Time Magazine, March 26, 2007, pp.40-41).

Le modèle initial de YouTube visait la création d'une communauté de personnes pouvant produire des vidéos et voulant les partager. Avec Google, on peut maintenant en tirer des revenus importants à jumelant ces vidéos à la recherche et à la publicité en ligne. Il s'agit donc ici de profiter du contenu et de l'audience de YouTube et des capacités de recherche et de publicité de Google. Les prochaines années nous diront si Google aura réussi à y générer les revenus espérés.

Avec la collaboration de Guy Champagne