YouTube fait rire avec ses clips rediffusant les ratés de la famille Dion ou les talents de Fidel Lachance. Mais le populaire site sert également la justice. Un présumé meurtrier s'est rendu à la police d'Hamilton après qu'un détective eut mis en ligne une vidéo filmée par une caméra de sécurité.

YouTube fait rire avec ses clips rediffusant les ratés de la famille Dion ou les talents de Fidel Lachance. Mais le populaire site sert également la justice. Un présumé meurtrier s'est rendu à la police d'Hamilton après qu'un détective eut mis en ligne une vidéo filmée par une caméra de sécurité.

«À ce que je sache, c'est la première fois que YouTube est utilisé comme outil d'enquête, indique le détective Jorge Lasso. Avec tous les appels que je reçois de partout dans le monde, c'est aussi ce que je conclus.»

Hier matin, le policier de 52 ans avait des messages de journalistes du New York Times, de CBS, de l'Associated Press, de l'Agence France-Presse, de la BBC, et même d'un média néo-zélandais!

Le 17 novembre dernier, un meurtre est commis dans le stationnement du Club 77, à Hamilton, où le rappeur Sean Price donne un spectacle de hip hop. Un jeune homme de 22 ans, Ryan Milner, est poignardé à mort, alors que son ami est blessé.

Les policiers de Hamilton retrouvent la casquette du suspect sur la scène du crime. «Puis en faisant des recherches sur Internet, nous sommes tombés sur des clavardages où des gens qui avaient assisté au concert discutaient du meurtre. Ils disaient que celui qui l'avait commis était allé au concert.»

En visionnant les images captées ce soir-là par les caméras de surveillance du club, la police aperçoit un jeune homme qui porte la casquette en question.

Le détective Jorge Lasso a alors l'idée de diffuser un clip sur YouTube. «Mes propres enfants ont près de 20 ans. Ils ne lisent pas les journaux, ils ne consomment pas les médias de masse. Ils s'informent sur Internet, explique-t-il. La méthode traditionnelle pour demander l'aide du public dans une enquête est de diffuser un portrait-robot ou de faire parvenir des images aux stations de télévision. Là, nous avons décidé d'aller sur YouTube pour rejoindre les jeunes.»

Le détective et son équipe annoncent leur initiative sur des sites comme undergroundhiphop.com ou hiphopcanada.com. «Nous avons analysé l'impact légal de tout cela, précise-t-il. Nous avons aussi communiqué avec YouTube à plusieurs reprises, mais ils ne nous ont jamais rappelés.»

Le 6 décembre dernier, le clip «Club 77 Hamilton Security Video» est mis en ligne. On y voit clairement le présumé meurtrier entrer dans le bar avec sa casquette blanche sur la tête. «Nous n'avons jamais reçu d'information incriminant le suspect», indique M. Lasso. Mais mardi dernier, George Gallo, 24 ans, s'est livré à la police en compagnie de son avocat, Nicholas Price (qui n'a pas rappelé La Presse). Avant-hier, le jeune homme a comparu devant un juge. Il est accusé de meurtre non prémédité et de tentative de meurtre.

Hier matin, le détective Jorge Lasso comptait enlever le clip sur YouTube (vu 35 000 fois). Deux heures plus tard, c'était fait.

Pour voir si le recours à YouTube était une «première policière», M. Lasso a fait des recherches. Il a répertorié seulement trois autres cas de vidéos mises en ligne sur YouTube par des policiers. Toutes proviennent de la Grande-Bretagne. Dans le premier, une mère implore les témoins du meurtre de son fils de contacter la police. Dans les deux autres, des agents incitent le public à joindre la police.

À la Sûreté du Québec, on dit surtout utiliser Internet pour diffuser les photos ou portraits-robots de criminels recherchés ou de personnes portées disparues. Il y a également une équipe de cybercriminalité qui «assure un rôle de vigie» ou qui fouille certains sites ou forums de discussion pornographiques, par exemple après avoir obtenu certaines informations. «Comme après la tragédie de Dawson, l'équipe a surveillé certaines menaces faites sur Internet», explique la porte-parole Chantal Mackels.

De son côté, Jorge Lasso compte réutiliser YouTube. «Pour rejoindre les jeunes, c'est un outil de plus pour les policiers. Un outil peu dispendieux, fait-il valoir. À la télé, les images ne passent que trois ou quatre fois. Sur Internet, c'est là tout le temps.»

À quand un CrimeTube?

Avant de se réjouir, il faut se poser des questions, commente pour sa part Wade Deisman, criminologue à l'Université d'Ottawa. «Les autres gens que nous voyons dans la vidéo ont droit à leur vie privée», dit-il. Avec la popularité d'émissions comme Cops ou America's Most Wanted, M. Deisman craint l'apparition d'un «CrimeTube». «Le public peut avoir l'impression d'être constamment surveillé, et penser qu'il y a plus de crimes de rue, et moins de crimes de cols blancs, comme des fraudes, par exemple.» Résultat : la pression médiatique pourrait causer une mauvaise répartition des ressources policières.

Quoi qu'il en soit, le fait qu'un présumé meurtrier se soit rendu aux policiers confirme une fois de plus l'ampleur du phénomène YouTube. Le magazine Time vient de déclarer personnalité de l'année quiconque a créé ou utilisé du contenu sur Internet. Time reconnaît le pouvoir du citoyen et celui de l'internaute. «Sur des sites comme YouTube, beaucoup de gens dénoncent la brutalité policière», souligne par ailleurs Wade Deisman.

Aussi:

- Un suspect arrêté en Ontario grâce à YouTube

- YouTube sert à une enquête policière