Quand Google n'était encore qu'un projet de recherche universitaire mené dans un garage de Silicon Valley, ses concepteurs Larry Page and Sergey Brin construisaient leurs propres ordinateurs à partir de pièces destinées à des micro-ordinateurs.

Quand Google n'était encore qu'un projet de recherche universitaire mené dans un garage de Silicon Valley, ses concepteurs Larry Page and Sergey Brin construisaient leurs propres ordinateurs à partir de pièces destinées à des micro-ordinateurs.

Ils voulaient limiter leurs dépenses et s'estimaient capables de mettre au point un réseau d'ordinateurs pouvant fouiller le Web plus efficacement que ceux offerts par les fabricants traditionnels.

Google n'a plus de raison d'être près de ses sous. Ses avoirs de 9 milliards US en ont fait un membre en règle du Fortune 500. N'empêche, la société perpétue obstinément son approche technologique artisanale. Même si elle investira plus de 1,5 milliard US cette année dans la mise au point de technologies et de centres d'exploitation, la plupart des centaines de milliers de serveurs qu'elle déploiera sont faits sur mesure conformément à ses directives excentriques.

Pour se rapprocher de ses usagers et accélérer le temps de réponse, l'entreprise s'affaire à mettre en place un réseau mondial de centres de données dotées de technologies qu'elle a conçues pour réduire sa consommation d'électricité.

Les ordinateurs de ces centres utilisent un logiciel conçu grâce à des outils de pointe que Google a elle-même mis au point.

Autant d'indices qui donnent à penser que Google s'apprête à créer ses propres microprocesseurs.

«Google, c'est une infrastructure tout autant qu'un moteur de recherche, dit Martin Reynolds, analyste chez Gartner Group. Il est en train de bâtir des ressources informatiques d'une ampleur presque inimaginables.»

Selon lui, Google est le quatrième fabricant de serveurs informatiques au monde, après Dell, Hewlett-Packard et IBM.

Certes, les principaux rivaux de Google, Microsoft et Yahoo, conçoivent la plupart de leurs programmes et configurent leurs ordinateurs et leurs centres données selon leurs besoins.

Mais leurs appareils sortent pour la plupart des ateliers de fabricants tels que Dell, Sun Microsystems et Rackable Systems.

«À un moment ou un autre, il faut se demander quelle est notre activité principale, avance Kevin Timmons, vice-président aux opérations de Yahoo!. Est-ce qu'il s'agit de concevoir soi-même son routeur ou de concevoir le site Web le plus populaire au monde? Il est difficile de faire les deux à la fois.»

Google a pourtant décidé de faire les deux. À maints égards, Google a encore une tête en forme de projet universitaire greffée sur le corps d'une multinationale. Sa stratégie tient à ceci: elle dispose d'une équipe en pleine expansion d'informaticiens de fort calibre, capables d'élaborer un réseau de serveurs pouvant emmagasiner et traiter plus d'informations plus efficacement que quiconque.

M. Reynolds estime que les coûts de traitement informatique chez Google sont moitié moindres que ceux des autres grandes sociétés sur Internet et ne s'élèvent qu'à un dixième des coûts technologiques des grandes entreprises.

Certains soutiennent malgré tout que l'approche artisanale de Google n'est ni nécessaire ni efficace, et que l'entreprise fait preuve d'une complaisance obstinée que masquent pour l'instant la croissance et la rentabilité de son secteur publicitaire. Et ses rivales affirment que leurs réseaux sont suffisamment puissants et efficace.

«Google ne fait pas de magie, dit Bill Gates, président du conseil de Microsoft. Nous investissons un peu plus sur chaque appareil. Mais nous effectuons les mêmes tâches, avec moins d'appareils.»

Google a la réputation de préserver le secret autour de ses technologies. Cela ne l'a cependant pas empêchée de publier des articles sur certaines de ses percées technologiques et d'en faire breveter d'autres.

De tout cela, de même que des déclarations publiques des patrons de Google et des confidences d'employés, de clients, de dirigeants d'entreprises de haute technologie, se dégage le portrait d'une compagnie désireuse de repousser les frontières de l'informatique moderne et d'appliquer ces concepts à une vaste échelle.

Certaines de ses innovations sont destinées à la commercialisation, histoire de tirer un bénéfice d'investissements croissants dans le développement technologique. L'an dernier, elle a fait breveter un «déflecteur-refroidisseur», un dispositif injectant de l'air à l'intérieur d'un bâti d'ordinateurs assemblées par du Velcro, un élément de design propre à Google.

Mais d'autres innovations sont plus audacieuses, comme cette série d'outils logiciels simplifiant le traitement en parallèle, un procédé permettant le traitement simultané d'une requête par des milliers de processeurs.

L'un de ces programmes, MapReduce, s'inspire d'idées débattues par les informaticiens depuis des dizaines d'années, selon Urs Hölzle, vice-président aux opérations chez Google.

«Ce qui nous a étonnés, c'est de découvrir à quel point il s'est avéré utile dans notre environnement», dit-il. MapReduce, selon lui, «permet à n'importe quel informaticien de traiter de grandes quantités de données tout en tirant parti de notre infrastructure».

M. Gates admet que MapReduce constitue une avancée importante, mais réplique que Microsoft planche sur son propre logiciel de traitement en parallèle.

«Ils ont leur MapReduce, nous avons notre Driad qui est meilleur, dit M. Gates. Mais ils vont en faire un autre qui sera meilleur.»

L'approche de Google ne trouve pas seulement son origine dans les travaux de recherche de ses deux fondateurs durant leurs années universitaires, mais également dans leur environnement familial, explique M. Arnold, qui souligne que MM. Page et Brin sont nés dans des familles branchées sur l'informatique et les mathématiques.» Ce qu'ils ont fait de 1996 à 1998 n'était pas aussi immature que cela aurait dû l'être», dit-il. Selon lui, tout porte à croire que les deux hommes ont appris beaucoup «des conversations de leur parents autour de la table de la cuisine».

À l'époque où MM. Page et Brin mettaient au point Google, le traitement en parallèle était plus qu'un simple rêve de chercheur universitaire: le prix modeste des processeurs, de la mémoire, des unités de disque entrant dans la fabrication des micro-ordinateurs le rendait possible à grande échelle. Ces composantes étaient rarement de qualité supérieure et pouvaient souvent flancher.

M. Page a conçu les premiers serveurs de Google en présumant que les pièces lâcheraient régulièrement. Il a d'abord tenté de simplifier l'assemblage- pour réduire, le cas échéant, le temps de réparation- en ne fixant pas les composantes aux serveurs, mais en les disposant simplement sur un tapis de liège. Comme l'ensemble était instable, les pièces ont été fixées avec du Velcro.

«Nul ne construit des serveurs aussi peu fiables que nous», disait l'an dernier M. Hölzle lors d'une visite au CERN, le laboratoire de physique des particules de Genève. Google limite ses dépenses et assure la performance de son réseau en déplaçant le fardeau de la fiabilité de l'ordinateur au logiciel; si les composantes d'un serveur flanchent, le logiciel commute la tâche et les données vers un autre serveur.

Par ailleurs, tout porte à croire que Google travaille actuellement à la mise au point de ses propres microprocesseurs. La compagnie a recruté plusieurs informaticiens à l'origine de l'Alpha, une puce qui fait la fierté de Digital Equipment Corporation.

«La prochaine étape pour Google, c'est la création d'une puce haute performance», prédit Mark Stahlman, un analyste indépendant de l'industrie technologique.

M. Hölzle a confié que Google avait songé à concevoir ses propres semiconducteurs, mais a refusé de préciser si l'entreprise en avait déjà produit. Il a expliqué qu'en général, Google ne voulait pas produire quelque pièce que ce soit quand elle pouvait en acheter qui faisaient l'affaire.