C'est connu, les urbains montréalais brandissent fièrement leur 514 pour se dissocier de leurs voisins banlieusards du 450. L'arrivée prochaine du tout nouveau «438» ébranlera-t-elle leur identité?

C'est connu, les urbains montréalais brandissent fièrement leur 514 pour se dissocier de leurs voisins banlieusards du 450. L'arrivée prochaine du tout nouveau «438» ébranlera-t-elle leur identité?

Les références aux tondeuses à gazon des 450 seront-elles remplacées par des blagues sur les accents «régionaux» des Montréalais du «438»? Verra-t-on la fin ou l'apothéose du «snobisme 514»?

Il y a 10 ans, Laura Carbonneau a quitté la Rive-Nord pour élire domicile dans le fief du territoire 514: le Plateau Mont-Royal. Elle entrevoit négativement la perspective de perdre son bien-aimé code régional. Mais cette «crainte» pourrait bien devenir réalité puisqu'elle compte déménager d'ici deux ou trois ans. En effet, vers la fin de 2006, les réserves de numéros en 514 seront épuisées, et les détenteurs de nouveaux numéros passeront en mode «438».

Et qu'ils soient de purs et durs Montréalais ou fraîchement débarqués de l'Abitibi, tous seront égaux au royaume du 438...

«Il va falloir justifier pourquoi notre numéro commence par 438», fait-elle valoir, tout en reconnaissant qu'un 438 est toujours mieux qu'un 450. «Comme le nouveau code régional n'est pas associé à une région particulière, c'est moins compromettant. Parce que vraiment, si un gars que je rencontre me demande mon numéro de téléphone, je serais très gênée de lui avouer qu'il commence par 450!»

À New York, l'implantation en 1999 du code régional 646 a causé une petite commotion. Le nouveau code régional a eu un effet ségrégatif sur la ville. Les snobs du 212 se targuaient ainsi d'être de «vrais» New-Yorkais, alors que les «646» étaient perçus comme des régionaux ou des touristes.

L'histoire a tellement fait jaser que la défunte série Seinfeld y avait à l'époque consacré un épisode. Dans celui-ci, on voyait le personnage d'Elaine vivre une suite d'ennuis amoureux après qu'elle eut obtenu un nouveau numéro «646». Un homme refusait ainsi de prendre son numéro de téléphone, sous prétexte qu'il pensait qu'elle vivait au New Jersey. Pour retrouver le privilège du «212», elle était prête à toutes sortes de bassesses, comme se lier d'amitié avec une vieille dame mourante qui lui céderait son numéro de téléphone en guise d'héritage...

C'est l'histoire d'un 438, comprends-tu...

«Je connais des banlieusards qui ne donnent que le numéro 514 de leur téléphone cellulaire, parce qu'ils ont honte de se dévoiler comme 450», lance Daniel Gill, professeur à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal. M. Gill souligne que puisque les Montréalais sont des citadins très mobiles, plusieurs d'entre eux devront renoncer à l'honorable statut de 514.

«Si l'on calcule que 10% à 12% de Montréalais déménagent annuellement, on peut prévoir que les 438 seront nombreux dans cinq ans.» Sans parler de tous ces nouveaux détenteurs de cellulaires, grands responsables de la fin du 514...

Quoi qu'il en soit, les «450», cibles des blagues de petits comiques, doivent bien se réjouir de l'arrivée d'une nouvelle potentielle tête de Turc. «Il y aura sûrement des humoristes qui vont rire de cette nouvelle situation», pense Louise Richer, directrice de l'École nationale de l'humour.

«Pour les humoristes qui posent un regard sur le quotidien, l'éclosion de tous ces numéros de téléphone et la complexité de toutes ces combinaisons de cellulaire, téléavertisseur et courriel ont un grand potentiel comique.»

Jusqu'où les 514 purs et durs iront-ils pour conserver leur indicatif chéri? Johanne Lemay, porte-parole pour l'Alliance des télécommunicateurs, pense que la transition s'effectuera sans heurt. Elle précise toutefois que même les plus fortunés des Montréalais ne pourront payer pour un 514. Vous partez deux ans à l'étranger après 20 ans de vie montréalaise? Tant pis pour vous! À votre retour, c'est probablement un 438 qui vous attend.

À moins, bien sûr, de gagner à la loterie du téléphone. Même s'il est en voie d'extinction, le 514 n'est pas condamné à disparaître, puisque les numéros annulés deviendront disponibles pour de nouveaux abonnés. «Je doute que Montréal vive la même chose que New York avec le 212, estime Johanne Lemay. Et qui sait si les Montréalais ne vont pas lui trouver un cachet particulier?»

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