La multiplication des pactes de suicide entre inconnus par l'intermédiaire d'Internet soulève de plus en plus de questions. Après le Japon et l'Australie, l'Angleterre se demande comment enrayer ce phénomène.

La multiplication des pactes de suicide entre inconnus par l'intermédiaire d'Internet soulève de plus en plus de questions. Après le Japon et l'Australie, l'Angleterre se demande comment enrayer ce phénomène.

Christopher Aston, de Liverpool, et Maria Williams, de Londres, ne se connaissaient pas. Ils ne s'étaient jamais rencontrés, mais ils ont pourtant décidé de se suicider ensemble, en février dernier. L'homme de 25 ans et la femme de 42 ans se sont laissés mourir, par asphyxie, dans la même voiture. Elle était assise devant, lui était recroquevillé en position foetale, à l'arrière. Chacun avait sa propre note d'adieu.

Il s'agit des premiers Britanniques connus à avoir conclu un pacte de suicide par l'intermédiaire d'Internet. Après le Japon, la Corée, l'Australie et les États-Unis, l'Angleterre vient de découvrir que de parfaits inconnus peuvent désormais prendre rendez-vous avec la mort de cette façon.

Le phénomène est d'abord apparu au Japon. Sundararajan Rajagopal, consultant en santé mentale au Centre Adamson de Londres et spécialiste de la question, rapporte qu'en octobre 2000, un dentiste japonais de 46 ans et une femme de 25 ans ont conclu un pacte de suicide et avalé ensemble des somnifères. Les deux avaient d'importants problèmes familiaux et s'étaient rencontrés par l'intermédiaire d'Internet.

Selon le Dr Rajagopal, le phénomène semble prendre de l'ampleur, particulièrement au Japon. «Il y a eu une augmentation significative du nombre de morts par pacte cybersuicidaire au Japon en 2004 par rapport à 2003.» Soit 55 en 2004, contre 34 l'année précédente. Le 12 octobre 2004, sept jeunes Japonais se sont ainsi enlevés la vie en groupe après s'être rencontrés sur Internet.

Historiquement, les pactes ne représentent qu'une infime minorité des cas de suicide (environ 1 %). «Les pactes de suicide traditionnels sont souvent le fait de deux personnes qui se connaissent très bien, comme un mari et sa femme», explique le Dr Rajagopal. Ce sont généralement des gens assez âgés et leur décision est longuement mûrie.

Les cas de pacte de suicide par l'intermédiaire d'Internet sont très différents. Il s'agit habituellement de gens qui ne se connaissent pas et ont tendance à être beaucoup plus jeunes (entre 20 et 30 ans) et impulsifs. Ils font connaissance grâce aux nombreux forums de discussion sur le suicide.

Christopher Aston et Maria Williams se sont ainsi rencontrés sur un forum- dont il vaut mieux ne pas donner le nom- qui existe depuis la fin des années 80. Au départ, c'était un site de discussion sur la déprime durant la période des Fêtes. Progressivement, au fil des ans, le forum a changé.

Aujourd'hui, ce sont essentiellement des gens qui expriment leur désespoir et discutent des meilleures méthodes pour en finir et échangent des messages. Certains publient même des «petites annonces» pour trouver des compagnons de suicide.

Un message envoyé récemment disait ceci: «Salut, je suis nouveau sur ce forum. J'habite au Royaume-Uni, près de Liverpool pour être précis. Y a-t-il quelqu'un dans les environs qui songe à en finir? Est-ce que tu veux conclure un accord pour que l'on s'aide? J'ai déjà fait quelques tentatives qui ont avorté parce que j'ai paniqué...»

Faut-il bannir ces sites?

Outre la question des pactes suicidaires, les groupes qui luttent contre le suicide s'inquiètent également du nombre et du genre d'informations que l'on peut trouver dans Internet à ce sujet. Certains sites offrent de véritables modes d'emploi pour réussir son suicide. Les méthodes y sont comparées et des conseils sont même donnés pour éviter de rater son coup.

Préoccupé par cette évolution, le groupe PAPYRUS (Prevention of Young Suicide) a présenté en juillet 2004 un document au ministère de l'Intérieur britannique afin de modifier la législation. «Il n'y pas de règles en ce moment qui interdisent les sites pro-suicide, explique Tony Cox de PAPYRUS. Je préférerais qu'il y ait une législation. Mais si le gouvernement ne veut pas rendre illégal ce genre de site, il faudrait au moins qu'il donne des recommandations claires aux fournisseurs d'accès Internet et aux moteurs de recherche.»

Mike Cobb de l'organisme d'aide Samaritans souligne que «le Japon a adopté une loi qui oblige les fournisseurs de services Internet à révéler immédiatement aux autorités l'identité des gens qui concluent des pactes de suicide dans Internet. En Australie, les sites pro-suicide sont interdits et ceux qui en sont responsables sont passibles d'une forte amende».

En Angleterre, le gouvernement- qui a songé à rendre illégaux ces sites- préfère pour l'instant s'assurer que les fournisseurs d'accès Internet et les moteurs de recherche fournissent des liens pour obtenir du soutien lorsqu'on effectue une recherche sur le suicide.

Samaritans n'a pas attendu le gouvernement. «Nous avons eu des discussions avec Wanadoo pour faire en sorte que lorsque quelqu'un cherche des informations relatives à un suicide, notre page soit la première à sortir dans les résultats, dit Mike Cobb. Et nous sommes en discussion avec d'autres moteurs de recherche.»

Est-ce suffisant? «Je ne sais pas, répond Mike Cobb. Nous allons commencer par essayer ça et nous verrons. Pour l'instant, ce que l'on souhaite, c'est surtout que les gens puissent trouver le support qu'ils ont besoin dans Internet.»

LE COMBAT D'UNE MÈRE

Liz Taylor, mère de Carina Stephenson une étudiante de 17 ans qui s'est suicidée en mai dernier , a décidé de lancer une campagne pour interdire les sites Web prosuicide en Angleterre. Après la mort de sa fille, elle a découvert que celle-ci avait visité un site offrant des informations précises sur la façon de se suicider. Carina a d'ailleurs utilisé une des méthodes présentées sur ce site pour mettre fin à ses jours dans un bois près de chez elle, à Doncaster. En tout, selon les recherches du journal Yorkshire Post qui soutient la campagne de Liz Taylor , au moins huit autres cas de suicide en Angleterre peuvent être liés à des sites Web qui font la promotion du suicide. Ces sites peuvent-ils vraiment être tenus responsable des suicides de ces jeunes ? Tony Cox de l'organisme PAPYRUS ne croit pas qu'ils puissent convaincre des gens qui n'y pensaient pas auparavant. «Ces sites ne causent pas le suicide, mais ils peuvent donner de mauvaises réponses aux gens vulnérables qui ont besoin de soutien.»