Le lanceur d'alerte canadien au coeur du scandale sur les données personnelles de Facebook a affirmé mardi que la campagne officielle soutenant la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne avait eu accès à des informations colligées de façon inappropriée auprès de millions d'utilisateurs du réseau social.

Christopher Wylie a précédemment affirmé que la firme Cambridge Analytica avait mis la main sur des informations de 50 millions d'utilisateurs de Facebook et utilisé ce matériel pour la campagne électorale de 2016 du président américain Donald Trump. M. Wylie a travaillé sur les «opérations d'information» de Cambridge Analytica en 2014 et en 2015.

M. Wylie a indiqué mardi au comité des médias du Parlement britannique qui était «absolument» convaincu que le groupe canadien de consultants AggregateIQ s'était alimenté des bases de données de Cambridge Analytica dans son travail pour la campagne officielle du groupe favorable au «Brexit». Les données pourraient avoir été utilisées pour microcibler les électeurs qui ont participé au référendum, qui s'est soldé par une victoire de 51,9 pour cent des partisans du divorce avec l'Union européenne.

«Je crois qu'il est incroyablement raisonnable de dire que AIQ a joué un rôle important dans la victoire (du clan favorable au départ)», a-t-il affirmé.

En raison des liens entre les deux entreprises, le camp pour la séparation a profité «des meilleurs services après Cambridge Analytica» en ayant recours à AggregateIQ, «une entreprise qui peut virtuellement faire tout ce que (Cambridge Analytica) peut, mais avec une différente adresse de facturation», a expliqué M. Wylie.

M. Wylie et deux autres initiés ont présenté lundi une cinquantaine de pages de documents qui, selon eux, prouvent que le camp pour la séparation a enfreint les règles sur le financement électoral pendant la campagne référendaire.

Selon eux, ce camp a contourné les limites sur les dépenses en donnant 625 000 livres (environ 888 000 $ US) au groupe étudiant favorable à la séparation BeLeave, pour qu'ensuite l'argent soit transféré directement à AggregateIQ.

Les règles sur le financement en campagne électorale limitaient les dépenses du camp pour la séparation à 7 millions de livres pour le référendum. Lorsqu'il s'est rapproché de cette limite dans les dernières semaines de la campagne, ce camp a choisi de faire ce don à BeLeave, a expliqué Shahmir Sanni, un bénévole qui aidait le groupe étudiant.

Une «division» de Cambridge Analytica

M. Wylie a indiqué au journal britannique «Observer» qu'il avait joué un rôle important dans la fondation d'AggregateIQ alors qu'il était directeur de la recherche chez SCL, la société mère de Cambridge Analytica. Il a expliqué que les entreprises partageaient la technologie sous-jacente à leurs activités et travaillaient ensemble si étroitement que le personnel de Cambridge Analytica faisait souvent référence à la firme canadienne en la qualifiant de «division».

AggregateIQ, établie en Colombie-Britannique, a publié un communiqué dans lequel elle affirme ne jamais avoir fait partie de Cambridge Analytica et ne jamais avoir signé de contrat avec cette entreprise. La compagnie a aussi affirmé qu'elle était une propriété canadienne à 100 pour cent, exploitée par des Canadiens.

«AggregateIQ travaille en pleine conformité avec toutes les exigences légales et réglementaires dans toutes sur tous les territoires où elle est en activité», a affirmé la société dans un communiqué. «À sa connaissance, elle n'a jamais été impliquée dans une activité illégale. Tout le travail accompli par AggregateIQ pour ses clients est distinct de tout autre client.»

Les allégations de M. Wylie ont forcé les politiciens des deux côtés de l'Atlantique à s'intéresser à l'utilisation des données colligées par Facebook et d'autres exploitants de réseaux sociaux.

Le spécialiste en données a obtenu un bref contrat auprès du Parti libéral fédéral, à Ottawa, au début 2016. Les libéraux insistent pour dire qu'après avoir eu un aperçu de ses services, ils ont décidé de ne pas continuer à faire appel à lui.

Le trublion à l'origine du scandale

(Pauline FROISSART, AFP) - Il a contribué à créer la société d'analyse de données Cambridge Analytica (CA), mais pris de remords, il dénonce aujourd'hui ses dérives: Christopher Wylie, un Canadien de 28 ans est le lanceur d'alerte qui a mis Facebook dans la tourmente.

Le jeune homme est un être «intelligent», «drôle», «vorace intellectuellement», a raconté Carole Cadwalladr, journaliste du Guardian, qui a collaboré un an avec lui.

Avec les éléments qu'il lui a apportés, elle a révélé que CA récoltait les profils Facebook de millions d'utilisateurs aux États-Unis et utilisait leurs informations pour élaborer des profils politiques et psychologiques, ensuite ciblés avec des messages politiques afin de peser sur leur vote, une primeur partagée avec le New York Times et Channel Four.

Wylie a quitté l'école à 16 ans, sans diplôme, mais dès l'année suivante s'est retrouvé à travailler pour le chef de l'opposition canadienne.

Cheveux teints en rose, lunettes noires à grosses montures carrées et anneau au nez, il est à la fois un «conteur de génie», un «politicien» et un binoclard féru d'informatique, qui a appris à coder tout seul, écrit Carole Cadwalladr.

Wylie se décrit lui volontiers comme «le Canadien homosexuel et végétarien qui a créé l'outil de guerre psychologique de Steve Bannon», ex-conseiller de Donald Trump et qui, selon le jeune homme, était impliqué dans CA.

Après son abandon précoce de l'école, il a gagné Londres pour reprendre ses études, d'abord le droit à la London School of Economics puis la mode avant d'être embauché en juin 2013 comme directeur de recherche pour la société Strategic Communication Laboratories (SCL), maison mère de CA, qu'il a contribué à créer.

«Oui, j'ai aidé à créer cette boîte», a-t-il expliqué dans un entretien à plusieurs journaux européens. «Le fait est que j'ai été happé par ma propre curiosité, par le boulot que je faisais. Ce n'est pas une excuse, mais je me retrouvais à faire le travail de recherche que je voulais faire, avec un budget de plusieurs millions, c'était vraiment très tentant», selon ses propos publiés mardi par le quotidien français Libération.

Au départ, les «voyages à travers le monde», les rencontres avec «des ministres de toutes sortes de pays» et son travail de recherche lui plaisent.

Pro-Brexit

Mais il a dit avoir découvert au bout de quelques semaines que son prédécesseur était mort dans un hôtel kenyan dans des circonstances inexpliquées. «Les gens soupçonnaient un empoisonnement», a-t-il déclaré mardi aux membres d'une commission parlementaire britannique enquêtant sur les «fake news».

Pour s'exprimer devant les députés, il avait troqué ses habituels T-shirts voyants pour un sobre costume-cravate et a déroulé pendant plusieurs heures ses accusations contre CA, qu'il a quitté en 2014.

Il a raconté s'être décidé à parler peu après l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, un «déclic» montrant l» «impact» que pouvait avoir, selon lui, le détournement de données personnelles à des fins politiques. Et s'est dit «incroyablement pris de remords» par le rôle qu'il a joué dans CA.

Christopher Wylie a aussi encouragé les députés à enquêter sur AggregateIQ (AIQ), une entreprise canadienne que Wylie lie au groupe SCL. Il se dit «absolument» certain que AIQ a utilisé les bases de données de CA lors de la campagne du référendum sur le Brexit, au profit d'organisations faisant campagne pour la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Affirmant avoir été partisan du Brexit - «malgré mes cheveux roses et mon anneau dans le nez, je suis l'un des rares spécimens d'eurosceptiques progressistes» - il s'est dit attaché à ce que «l'intégrité du processus démocratique» soit respecté.

CA a vigoureusement nié les accusations à son encontre. Dans un communiqué, l'entreprise affirme que Christopher Wylie n'était qu'«un employé à temps partiel qui a quitté ses fonctions en juillet 2014 et n'a aucune connaissance directe de notre travail ou de nos pratiques depuis cette date.»

Christopher Wylie a lui affirmé aux députés que CA n'était pas une «entreprise légitime». «Je ne pense pas qu'ils devraient continuer à faire des affaires».