Mathieu Giroux n'avait jamais fait de patinage de vitesse longue piste de sa vie avant novembre 2008. Une année et des poussières plus tard, il a en poche son laissez-passer pour les Jeux olympiques de Vancouver. Et il pourrait bien devenir le premier patineur né au Québec à remporter une médaille depuis Gaétan Boucher. Retour sur une fulgurante progression.

Mathieu Giroux a fini par en avoir assez.

Le patineur de vitesse sur courte piste venait de connaître deux saisons pénibles sur le circuit de la Coupe du monde. Il était monté cinq fois sur le podium, mais une litanie de blessures à la cheville droite l'avaient contraint à se soumettre à de multiples injections de cortisone et à une opération pour retirer des fragments d'os de l'articulation.

Quand sa cheville l'a de nouveau fait souffrir aux sélections nationales, en septembre 2008, il a décidé de jouer le tout pour le tout dans l'espoir de réaliser son rêve de participer aux Jeux olympiques de Vancouver. Il a annoncé à son entraîneur Derrick Campbell qu'il délaissait la jungle du courte piste pour tenter sa chance en longue piste.

Pour un gars qui n'avait jamais patiné sur l'anneau de 400 m et n'avait aucune expérience des patins à lames «clap», le pari était pour le moins audacieux. Mais Giroux vient de prouver que personne n'est mieux placé qu'un patineur pour virer sur une pièce de 10 sous: aux essais olympiques, qui avaient lieu à Calgary entre Noël et le Jour de l'an, l'étudiant en pharmacie à l'Université de Montréal s'est qualifié pour le 1500 m, en plus d'obtenir sa place, aux côté de Lucas Makowsky et Denny Morrison, dans l'équipe de poursuite.

Pour Giroux, les essais ont été le point culminant d'une progression ultra-rapide - une progression dont le résultat était tout sauf garanti. «On dit que ça prend 10 000 heures pour former un athlète de haut niveau, note Giroux. Au mois d'avril dernier, j'étais rendu à seulement 1000 heures!»

Il fut un temps, jusqu'à la fin des années 80, où les patineurs de vitesse passaient allégrement de la courte à la longue piste. Gaétan Boucher et Sylvie Daigle ne sont que deux des nombreux athlètes qui se sont illustrés dans les deux sports à l'époque.

L'inclusion de la courte piste au programme olympique, lors des Jeux d'Albertville, en 1992, a toutefois forcé les patineurs à se spécialiser. Depuis, rares sont ceux qui réussissent à briller dans les deux sports. Avant Giroux, plusieurs bons patineurs, comme le Québécois Jean-François Monette et le Néo-Brunswickois Jeff Scholten, se sont cassé les dents quand ils ont tenté leur chance en longue piste.

Mais les aptitudes de Giroux ont sauté aux yeux de ceux qui ont assisté à ses premiers tours de piste à l'anneau de glace Gaétan-Boucher, en novembre 2008. «J'étais là avec l'entraîneur de l'équipe nationale Gregor Jelonek. Et dès le premier tour, on s'est dit «il l'a», raconte le directeur général de la Fédération de patinage de vitesse du Québec, Robert Dubreuil. On amènerait les neuf Québécois de l'équipe olympique de courte piste à l'anneau et ils ne seraient pas tous des Mathieu Giroux.»

L'adaptation a quand même été rude, reconnaît Giroux en riant. À sa première course à Québec, en décembre 2008, il a oublié de changer de couloir et a été disqualifié. Dans une autre épreuve, le lendemain, il a changé deux fois et a de nouveau été sanctionné!

Giroux en a toutefois fait assez pour se mériter une place au championnat canadien, à Richmond, fin décembre 2008. À la surprise générale, il s'est taillé une place sur l'équipe de Coupe du monde sur 1500 et 5000 m. Il a aussi pris goût à son nouveau sport. «Depuis que je suis petit, l'attitude qu'on avait en courte piste, c'est qu'il n'y a aucune action en longue piste, dit-il. Sauf que ma force en courte piste, c'était dans les longues distances, quand j'allais en avant et que j'imposais un rythme, un peu comme ce que fait Charles Hamelin. C'est une force que je peux exploiter en longue piste, car je peux aller le plus vite possible. En courte piste, on n'est pas toujours en contrôle. En longue piste, si. Ce n'est vraiment pas stressant, par comparaison.»

À Richmond, il s'est joint au groupe de patineurs de l'entraîneuse Ingrid Paul, une spécialiste des longues distances. Sceptique au début, la coach d'origine néerlandaise a vite été convaincue et l'a soumis à un régime d'entraînement intensif... et pénible. «Le plus dur, c'était quand il fallait faire 15 minutes de marche basse en tirant sur une piste en caoutchouc un traîneau de métal chargé d'un poids de 40 kilos», se souvient-il.

Il lui a fallu du temps pour adapter sa technique. «Au début de cette saison, j'avais encore les patrons-moteurs de la courte piste. Je patinais mes droits comme en courte piste, avec davantage de pression sur mes lames, ce qui est plus ou moins efficace. Les choses ont finalement cliqué dans la semaine avant la première Coupe du monde de Berlin, début novembre.»

Résultat: un an à peine après ses débuts, Giroux s'est retrouvé dans le groupe A en Coupe du monde sur 1500, 5000 et 10 000 m. Et il s'est frayé au passage une place dans l'équipe de poursuite, auteure de deux podiums en trois courses.

«Mathieu a été très patient dans sa préparation, dit l'entraîneur national Marcel Lacroix, qui supervise l'équipe de poursuite masculine. Il a respecté le sport davantage que d'autres patineurs de courte piste qui sont venus en longue piste.»

Giroux n'a que 23 ans, mais cela fait déjà 19 ans qu'il a fait ses débuts en patinage de vitesse, à Pointe-aux-Trembles, où il est resté jusqu'à son transfert au centre national de l'aréna Maurice-Richard, à 16 ans.

Il y a quatre ans, il est passé à un cheveu d'aller aux JO de Turin. Les six premiers patineurs aux sélections se qualifiaient; il a terminé septième.

Ce n'était que partie remise. Et l'attente en valait la peine. Car s'il ne se fait pas d'illusion sur ses chances au 1500 m, une distance intermédiaire où la compétition est particulièrement relevée, Giroux pourrait fort bien gagner une médaille en poursuite par équipe à Vancouver. Il deviendrait le premier patineur né au Québec à monter sur le podium aux Olympiques depuis Gaétan Boucher, à Sarajevo, en 1984.

Pas mal pour un gars qui a enfilé sa première paire de patins de longue piste il y a tout juste 14 mois. «C'est surprenant de voir les progrès qu'il a faits dès sa deuxième saison, dit Robert Dubreuil, qui a lui-même participé aux Jeux de Calgary en courte piste (alors un sport de démonstration) avant de se qualifier en longue piste à Albertville. «Mais Mathieu a une capacité physique hors du commun. Il est motivé. Et il a une volonté incroyable.»