De Brantford à Ville-Émard en passant par Cole Harbour, aux quatre coins du Canada des petits garçons en rêvent la nuit. La tête posée sur l'oreiller, ils s'imaginent en finale de la Coupe Stanley ou aux Jeux olympiques. Ils se voient compter le but de la victoire. En prolongation, évidemment.

Ils sont des millions comme ça, mais il n'y a qu'un Sidney Crosby. Comme il n'y avait qu'un Wayne Gretzky. Comme il n'y avait qu'un Mario Lemieux. Des joueurs capables de transcender leur sport et de trouver le moyen, comme par miracle, de toujours dépasser les attentes au moment où ça compte vraiment. Même quand ces attentes sont celles, démesurées, d'un pays tout entier, qui s'est soudainement découvert un vorace appétit pour les médailles d'or.

C'est l'architecte de cette équipe qui vient de passer à l'histoire, Steve Yzerman, qui a exprimé le plus éloquemment la place qu'occupe Crosby, quand un journaliste lui a demandé si le talisman des Penguins était le meilleur joueur au monde. «Le meilleur joueur au monde, ça n'existe pas, a dit Yzerman. Mais Sidney a montré encore une fois aujourd'hui que son jeu est marqué par la destinée.»

Pour la génération actuelle, le but vainqueur de Crosby pourrait devenir l'équivalent de ce qu'a été pour une génération antérieure l'ultime but de Paul Henderson lors de la Série du siècle. Un moment pour toujours inscrit dans la psyché collective du pays, un moment où le temps s'arrête. Dans 10 ans, dans 20 ans et au-delà, les gens se souviendront sans doute de l'endroit où ils étaient quand Sidney Crosby, un soir de février à Vancouver, a battu Ryan Miller après sept minutes 40 de jeu en prolongation.

Quatre ans après avoir été stupidement ignoré par Gretzky et l'establishment de Hockey Canada, Crosby, à 22 ans, a finalement eu la chance de briller sur la plus grande scène qui soit, dans son pays et devant une foule complètement folle qui voulait cette médaille d'or plus que toutes les autres. Et il a saisi cette chance à bras-le-corps. «Chaque enfant rêve d'avoir une telle chance, a dit Crosby après le match. Gagner une médaille d'or dans ton pays, c'est l'occasion d'une vie.»

Non, il n'a pas été le meilleur joueur canadien dans ce tournoi, un honneur qui revient sans doute à Jonathan Toews, le Yzerman des années 2010. Crosby a été blanchi en quarts de finale contre la Russie et en demi-finale contre la Slovaquie. Hier, il a raté une chance unique de mettre le match hors de la portée des Américains, en troisième période, en ratant une échappée.

«Les derniers matchs ont été difficiles, a dit Crosby. On a disputé des matchs serrés et la rondelle ne voulait pas rentrer. Mais j'ai suivi le plan et j'ai continué à tout donner. Tu ne peux pas changer grand-chose à ce stade.»

En fait, Crosby a été meilleur que ce que ses critiques ont prétendu. Premier à se replier dans son territoire, toujours impliqué dans les batailles le long des bandes, il a été un modèle de dévouement pour son club. Et ses efforts ont fini par payer, hier, comme lorsqu'il avait marqué le but de la victoire en fusillade contre la Suisse, il y a 11 jours.

«Sidney est un joueur des grands moments et il l'a prouvé encore aujourd'hui, a dit Patrice Bergeron. Il a le talent et le caractère. Il ne méritait pas les critiques qu'il a reçues.»

Yzerman était d'accord, même s'il a reconnu que le jeu de Crosby avait fluctué entre «bon» et «clairement dominant» au fil des sept matchs de l'équipe canadienne. «Il a eu un grand tournoi, a dit Yzerman. Il est jeune pour avoir le poids des attentes de tout un pays sur les épaules. Ce n'est pas assez de gagner, il doit en plus mener l'équipe. C'est beaucoup de pression sur un joueur.»

Mais au final, c'est Crosby et personne d'autres qui a porté le coup de grâce dans ce match de la médaille d'or exceptionnel opposant deux équipes rapides et disciplinées, qui se sont battues pour le moindre pouce carré d'espace sur la glace. «Il n'y avait pas de meilleure personne que lui pour marquer le but vainqueur. Il est le visage du hockey au Canada», a dit son compagnon de trio des quatre derniers matchs, Eric Staal.

On n'aurait pu rêver d'un meilleur scénario pour conclure cette quinzaine olympique complètement folle. Entrepris dans la pluie, le brouillard et la mort, les «pires Jeux de l'histoire» qu'appréhendaient certains pisse-vinaigre se sont métamorphosés en retentissant succès pour le pays hôte, qui a eu droit à une véritable orgie de médailles depuis quelques jours.

Que le dernier pétard de ce feu d'artifices ait été tiré par Crosby - un athlète qui incarne l'humilité et le travail, mais aussi le désir brûlant de réussir - est au fond hautement symbolique de la nouvelle mentalité sportive qu'on a sentie émerger au pays au fil de ces Jeux. Sous le vernis de la modestie canadienne, la confiance et l'ambition n'ont jamais été plus grandes que maintenant.