«Le français, qui fut «la» langue des Jeux il y a un siècle, est devenu une langue de cérémonie, une étiquette à laquelle on continue à déférer dans les occasions d'élégance, tandis qu'à l'usage il n'est plus qu'une langue seconde ou tierce, au mieux.»

Lise Bissonnette en était arrivée à cette conclusion en 2006, aux Jeux olympiques de Turin, à titre de «grand témoin de la francophonie», déléguée par le secrétaire général de l'Organisation internationale de la francophonie, Abdou Diouf. Mais après avoir vu à la télévision la cérémonie d'ouverture des Jeux de Vancouver, samedi, l'ancienne directrice de la Grande Bibliothèque du Québec fait un constat encore plus sombre: «Le français n'est même plus une langue de cérémonie.»

 

Comme bien d'autres francophones, Mme Bissonnette, que La Presse a jointe par téléphone à Montréal, a été scandalisée - ce sont ses mots - par le peu de place accordé au français durant le spectacle conçu par l'Australien David Atkins. «Les organisateurs des Jeux n'ont pas un rapport culturel à la langue française, mais un rapport technique. Ils pensent que la traduction, c'est l'égalité des langues», déplore-t-elle.

La traduction en anglais d'un poème de François-Xavier Garneau lu par Donald Sutherland en est la preuve, selon elle. À ses yeux, le chanteur Garou a joué le rôle de «francophone de service».

Le successeur de Mme Bissonnette au titre de grand témoin de la francophonie, le Suisse Pascal Couchepin, est moins catégorique: «J'ai été surpris durant la cérémonie, mais je me suis demandé si c'était ma sensibilité particulière. Je me serais attendu à une présence culturelle francophone plus grande.»

M. Couchepin trouve «très sain» que le débat ait été soulevé par des Canadiens (le ministre fédéral du Patrimoine, James Moore, et le commissaire aux langues officielles, Graham Fraser). «Ce manque d'inspiration française durant la cérémonie tient d'un problème de politique nationale. La convention du Comité international olympique n'exige pas un spectacle bilingue, explique l'ex-président de la Confédération suisse. Ce sont uniquement certaines portions officielles qui doivent l'être.»

Le directeur du Comité organisateur des Jeux de Vancouver (COVAN), John Furlong, a prononcé une seule courte phrase en français au cours de la cérémonie. «On ne peut pas lui faire une piqûre de français quelques jours avant le début des Jeux», lance M. Couchepin avec un brin d'humour.

Le Canada a eu l'air d'un pays unilingue anglophone devant le reste du monde, croit pour sa part Mme Bissonnette. «Comment se fait-il que le gouvernement du Canada et le Comité organisateur, avec les sommes considérables investies dans ces Jeux, n'aient pas imposé un cahier des charges? se demande-t-elle. C'est comme si on avait dit au concepteur du spectacle: une loi sur les deux langues officielles existe au Canada, mais vous n'êtes pas obligés de la respecter.»

En raison de son expérience à Turin, Mme Bissonnette a été invitée il y a quelques mois à témoigner devant un comité sénatorial qui tenait des audiences sur le bilinguisme aux JO. «Après les audiences à Ottawa, ce comité sénatorial a visité Vancouver. Le commissaire aux langues officielles du Canada, Graham Fraser, talonne le COVAN depuis un an. Et malgré tout ça, le COVAN a échoué», signale-t-elle.

Lise Bissonnette se demande si cet «échec» est dû à l'«absence de volonté politique» ou à une «incompréhension totale» de la culture française au Canada. Elle croit que le Comité international olympique a aussi sa part de blâme: «Pour obtenir les Jeux, les pays sont prêts à s'endetter pour des milliards. Si le CIO voulait vraiment imposer des règles plus strictes sur les deux langues officielles, il aurait le pouvoir de le faire.»

À Turin, une ville italienne à la frontière de la France, Mme Bissonnette a été impressionnée par le nombre d'Italiens qui pouvaient répondre à ses questions en français. «J'aurais aimé voir Turin et Vancouver côte à côte. Je ne serais pas étonnée que Turin s'en tire mieux que Vancouver», conclut Lise Bissonnette.

De son côté, le Suisse Pascal Couchepin croit que les organisateurs ne feront pas la même erreur à la cérémonie de clôture: «Je pense qu'ils tiendront compte des remarques. Sinon, ce serait imprudent.»