Plus haut, plus vite, plus fort. Mais à quel prix? Source d'inspiration pour des générations entières d'athlètes, la devise olympique a été souvent mise à mal au fil des ans, notamment par les scandales de dopage.

Rarement toutefois aura-t-elle semblé plus tristement futile qu'hier, à Vancouver, dans les heures qui ont suivi la mort tragique du lugeur géorgien Nodar Kumaritashvili, au centre des sports de glisse de Whistler.

L'horrible accident, survenu à la sortie du dernier virage de la piste, n'a pas seulement jeté une douche froide sur des Jeux, dont le coup d'envoi menaçait déjà d'être partiellement éclipsé par la pluie et le mauvais temps.

Il a aussi rappelé au monde les risques énormes, et toujours croissants, que courent les athlètes, particulièrement aux Jeux d'hiver, dans leur perpétuel effort pour repousser leurs limites et celles de leur sport.

On pourrait former une sacrée équipe olympique avec tous les athlètes d'élite qui rateront le rendez-vous de Vancouver en raison de blessures graves. On n'a qu'à penser aux skieurs alpins John Kucera, Nicole Hosp ou Jean-Baptiste Grange, ou encore à la médaillée d'or des JO de 2006 en snowboardcross, Tanja Frieden, qui a annoncé sa retraite le mois dernier après une lacération du tendon d'Achille.

Les patineurs de vitesse courte piste vont toujours plus vite, malgré les risques de collision. Les sauteurs acrobatiques raffinent sans cesse leurs figures, ajoutant une vrille après l'autre. Les bobeurs montent à bord de bobsleighs mis au point en soufflerie dans l'espoir de gagner quelques précieux centièmes de seconde.

Plus haut, plus vite, plus fort. Et toujours plus risqué.

Le surfeur des neiges américain Shaun White, la star de son sport, a récemment avoué qu'il avait eu la frousse lorsqu'il a tenté - et réussi - pour la première fois une figure particulièrement périlleuse, lors de la Coupe du monde de Park City. «J'ai eu peur, a-t-il dit. Je n'ai jamais admis une telle chose. Mais j'ai eu peur.»

La volonté des athlètes de toujours se dépasser, au coeur même du sport d'élite, n'est toutefois pas seule en cause, comme me l'a souligné hier Jean-Luc Brassard, médaillé d'or en bosses aux Jeux de Lillehammer, en 1994.

«La différence, et on l'a bien vu en ski alpin avec toutes les blessures cette année, c'est que les organisateurs veulent tous la piste la plus sautée possible, dit Brassard, analyste de ski acrobatique pour RDS et V à Vancouver. Tout le monde veut avoir le Kitzbühel ou le Monaco de son sport et veut que le monde sache que son parcours est le plus difficile.»

Au lendemain de l'accident qui a coûté la vie à Nodar Kumaritashvili, il est permis de se demander si ce n'est pas un peu ce qui s'est passé à Whistler. La piste olympique est reconnue comme l'une des plus exigeantes de la planète et certainement la plus rapide. Peut-être trop. La vitesse de pointe à Whistler - l'Autrichien Manuel Pfister a dépassé les 154 km/h cette semaine - est d'une quinzaine de kilomètres/heure plus élevée qu'aux Jeux de Turin, il y a quatre ans, souligne Jean-Paul Baërt, analyste des épreuves de glisse pour la télé canadienne depuis les Jeux de Lillehammer, en 1994.

C'est énorme. Faut-il se surprendre du fait que plus d'une douzaine d'accidents soient survenus cette semaine, dont l'un, heureusement sans gravité, impliquait l'Italien Armin Zöggeler, double médaillé d'or olympique? «Je pense qu'ils poussent un peu trop, a dit l'Australienne Hannah Campbell-Pegg après avoir failli perdre la maîtrise de sa luge, jeudi. Jusqu'à quel point sommes-nous de petits lemmings qu'ils lancent sur la piste, des mannequins d'essai (crash test dummies)? Ce sont nos vies, après tout.»

De leur côté, les dirigeants de l'équipe canadienne devront répondre à des questions qui risquent de les mettre dans l'embarras: ont-ils contribué à la tragédie d'hier en limitant au strict minimum l'accès des athlètes étrangers à la piste dans les mois qui ont précédé les Jeux? Leur volonté de préserver l'avantage du terrain des athlètes locaux a-t-il empêché les autres concurrents de se familiariser suffisamment avec une piste aussi traîtresse?

Chose certaine, de sérieuses remises en question sont à l'ordre du jour. Les athlètes, les lugeurs comme les autres, devront faire front commun s'ils veulent éviter la répétition d'accidents comme celui d'hier.

«On pourrait aller à 200 sur nos autoroutes, mais on limite la vitesse à 100 parce qu'on dit "assez, c'est assez". Parce que sinon, c'est trop dangereux», illustre Jean-Luc Brassard.

Ironiquement, pas plus tard que jeudi, un haut dirigeant de la Fédération internationale de luge, Wolfgang Harder, a dit que, à l'avenir, il faudrait imposer de strictes limitations de vitesse aux constructeurs de pistes de luge et de bobsleigh.

Belle intention. Mais trop tard, malheureusement, pour ramener Nodar Kumaritashvili à la vie.