S'il était hockeyeur, on le comparerait à Sidney Crosby ou Alexander Ovechkin. Mais il fait du ski de fond dans un pays qui n'a connu qu'un seul champion, son père, Pierre Harvey. À 20 ans, Alex Harvey vient de connaître une première saison extraordinaire sur le circuit de la Coupe du monde, surpassant toutes les attentes, les siennes incluses. Rencontre avec celui qui s'annonce déjà comme un athlète d'exception.

Le 14 mars dernier, Pierre Harvey se préparait pour une randonnée au mont Sainte-Anne quand un ami lui a annoncé la position provisoire de son fils Alex, à la Coupe du monde de Trondheim, en Norvège. Vingt-sixième, c'est très bien, se disait le paternel. Après tout, Alex en était seulement à sa deuxième épreuve de 50 kilomètres à vie. Tenir son bout dans un peloton aussi aguerri, voilà un bel exploit.

 

Un peu plus tard, branle-bas: Alex est troisième, Alex est troisième! Pierre Harvey a d'abord cru à une erreur de puce électronique ou de transmission des données. «C'était comme un peu trop. Pousse, mais pousse égal», relatait-il en entrevue téléphonique, la semaine dernière.

Mais Alex avait bel et bien fini troisième à Trondheim, une course mythique que son père avait lui-même remportée 21 ans plus tôt, quelques semaines avant sa retraite.

Impressionné, Pierre Harvey le fut encore plus quand son fils lui a raconté la façon dont il avait échafaudé cette performance improbable.

Insatisfait du rythme peu avant la mi-course, Alex a pris la tête avec l'espoir de dynamiter le peloton. Avec un peu de chance, il pourrait ensuite s'accrocher au retour des favoris et finir parmi les 10 premiers. Finalement, ce sont les autres qui ont payé le plus cher le coup de semonce de ce jeune blanc-bec venu du Québec.

Quel culot quand même. Normalement, une recrue se serait contentée de survivre dans une course de 50 km, la plus longue en Coupe du monde, où s'illustrent généralement les fondeurs vers la fin de la vingtaine. Sauf qu'Alex Harvey est un athlète sans complexes. «Je n'ai pas hésité une seconde. Je me sentais super bien», dit-il, presque pour se justifier.

«Parfois, il faut être audacieux, constate Pierre Harvey. Je l'étais peut-être un peu moins que lui.»

Mais fallait-il vraiment s'étonner? En décembre dernier, Pierre Harvey était sur place à titre d'animateur quand son fils a procuré une médaille de bronze à son pays lors d'un relais sprint à la Coupe du monde de Whistler. Quand il a vu que son fils ne se contenterait pas de la sixième place et qu'il tentait le coup pour le podium, il s'est dit: «Il est donc bien maniaque...»

En cette dernière journée du mois de mars, Saint-Ferréol-les-Neiges porte bien son nom. Une trace a tombé durant la nuit, signe que l'hiver n'est pas tout à fait fini par ici. L'invitation était trop tentante pour Alex Harvey.

Sur son terrain de jeu

Quand il a reçu La Presse, à la résidence familiale, il revenait d'une petite sortie d'une heure et demie. «Pour le fun», précise-t-il, car la saison de Coupe du monde est terminée et il est officiellement en vacances. Un voyage à Cuba est à l'agenda, mais pas avant que les copains n'aient complété leur trimestre à l'université, à la fin du mois.

En attendant, Harvey s'amuse sur ses planches. Remarquez, il serait bien fou de ne pas en profiter. Ce n'est pas compliqué: il ramasse skis et bâtons, ouvre la porte, traverse la rue, marche deux minutes dans le bois, et le voilà sur son terrain de jeu, le parc du mont Sainte-Anne et ses 240 kilomètres de pistes.

«Je peux skier trois-quatre heures sans repasser au même endroit. Tu ne trouveras rien de mieux au Canada», avance-t-il fièrement, soulignant la variété du terrain. Il montre d'étroits passages entre les branches. L'été, il s'y aventure en vélo de montagne, l'autre sport dans lequel il excellait.

Un peu plus loin, vers la gauche, on distingue les pistes de ski alpin, où Harvey se risque encore cinq ou six fois par hiver. Quand il revenait de l'école primaire, se souvient-il, les nuages réverbéraient la lumière des réflecteurs de la station, éclairant ses randonnées à la brunante. Par temps clair, les reflets de la lune suffisaient.

S'il n'est pas sur ses skis ou sa selle, Harvey part luncher dans les bois en raquettes. Il en aurait eu bien besoin quand le photographe lui a demandé de quitter la piste tapée pour poser entre les arbres. Après deux pas, il s'est enfoncé jusqu'à la taille.

Plusieurs sports

C'est connu, Alex Harvey est tombé dedans quand il était petit. Il n'avait pas quatre mois qu'il accompagnait ses parents dans leurs randonnées de ski de fond. Il dormait dans un traîneau adapté que son père avait ramené de Norvège. Plus tard, Pierre, un ingénieur mécanique, en a conçu une version toute québécoise avec son ami, l'aventurier Richard Weber, lui aussi nouveau papa. Encore aujourd'hui, le Baby Glider fait la joie des parents fondeurs.

À trois ans, le petit Alex s'est retrouvé sur ses propres skis. «J'en faisais 10 minutes et quand j'en avais assez, je remontais dans le Baby Glider», relate celui qui a participé à ses premières compétitions à l'âge de 5 ans.

Harvey a touché à plusieurs sports avant de se consacrer davantage au ski de fond et au vélo de montagne. Il a participé aux Mondiaux juniors dans les deux disciplines. De meilleurs résultats en ski l'ont convaincu d'opter pour ce sport. «Un choix naturel», explique celui qui profitait du programme ski-études à l'école secondaire du mont Sainte-Anne.

En mars 2007, Harvey est, en effet, devenu le premier skieur masculin canadien à monter sur le podium aux Mondiaux juniors avec une troisième place au 10 km style libre. La médaille est encadrée sur un mur à Saint-Ferréol. En fait, il devrait y en avoir deux, car le Québécois a mérité le bronze au 20 km à la suite de la disqualification rétroactive du médaillé d'argent, convaincu de dopage.

À l'occasion de ses derniers Mondiaux juniors, l'an dernier, Harvey visait l'or. Ses plans ont été contrecarrés par une vive douleur à la jambe gauche qui l'embêtait depuis plusieurs mois. Il a dû se satisfaire de l'argent au 10 km classique. «À l'effort maximal, c'est comme si ma jambe voulait arracher», décrit-il.

Son problème: une mauvaise circulation dans l'artère iliaque, attribuable aux longues heures passées sur un vélo. «Il faut avoir une prédisposition pour ce genre de blessure, mais je m'entraînais déjà beaucoup quand j'étais jeune. J'aime tellement ça m'entraîner», explique-t-il.

Deux ans plus tôt, le cycliste Charles Dionne avait été confronté au même problème. Ironiquement, ce dernier avait consulté le Dr Mireille Belzile, la mère d'Alex, à ce sujet.

Un coup d'éclat

Harvey est passé sous le bistouri le 14 mars 2008. L'artère a été agrandie grâce à du tissu veineux prélevé ailleurs dans la jambe. Un an plus tard, jour pour jour, il a réussi son coup d'éclat à Trondheim. Il a remis ça une semaine plus tard avec trois résultats parmi les 10 premiers à la finale de la Coupe du monde de Falun, en Suède.

Le jeune homme de 20 ans est maintenant un incontournable pour les Jeux olympiques de Vancouver, en février prochain. Son objectif initial était simplement d'y participer. Le podium paraît maintenant comme une réelle possibilité. Lucide, il préfère jouer la carte de la prudence, songeant davantage au métal précieux pour 2014 ou 2018.

«C'est une possibilité, c'est vrai, mais ce ne sera vraiment pas la fin du monde si ça n'arrive pas. Je n'aurai que 21 ans et je ne pense pas avoir de résultats à ces Jeux-là», prévient Harvey. Ses adversaires le croiront-ils?