Après trois ans en France, David Veilleux sait qu'il doit adoucir un peu son accent québécois pour éviter de se répéter. Il y avait donc un peu plus de français dans le ton quand il a demandé à la réception un endroit pour prendre un café, hier après-midi.

Le restaurant était au premier, en bordure de la grande piscine du Costa Salina, l'hôtel où loge l'équipe Europcar, situé en plein coeur du port de Porto-Vecchio. Avec les immenses yachts amarrés devant, l'air marin et le soleil qui frappait fort, Veilleux se sentait presque en vacances.

Du moins, son corps lui avait envoyé cette étrange impression sur son vélo quelques heures plus tôt. «Ça faisait drôle de dire que j'étais là pour la plus grosse course du monde», a souri le jeune homme de Cap-Rouge, qui revenait d'une entrevue avec France Télévision.

«Le temps a été exécrable pendant tout le début de la saison. Il a plu toute la semaine dernière en Vendée. J'ai fait six heures, j'en ai passé quatre sous la pluie. Le lendemain, j'ai fait trois heures, encore de la pluie... J'arrive ici, et le décor est totalement différent. C'est comme si j'allais en stage dans les îles ou en vacances.»

David Veilleux sait très bien que ce n'est pas ce qui l'attend pour le grand départ demain. À moins de 48 heures de l'événement, il affichait son calme habituel. «C'est bien, parce que j'ai besoin de cette fraîcheur psychologique pour les trois semaines. Une fois que ce sera parti, sur le vélo, ça va être assez intense, je pense.»

Camoufle-t-il sa nervosité ? «Je réussis à relativiser les choses, répond-il. Des fois, je suis un peu... Non, je suis nerveux. Si tu parles à ma blonde, elle, elle le sait ! Demain, je vais essayer d'être dans mes affaires. Je suis assez cartésien. Il faut que les choses soient calées et que je sache ce qui s'en vient.»

Le jeune homme de 25 ans s'excuse d'être « plate « et de ne pas s'épancher. Les émotions, il s'attend à les vivre dans le bus, demain matin, quand il épinglera ses dossards «58» avec l'inscription «Tour de France».

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Le restaurant est vide en cette fin d'après-midi. Jean-René Bernaudeau arrive sur les entrefaites. «Il est assailli de médias! « lance à la blague le manager d'Europcar. Puis, plus sérieux : «T'expliqueras à tes collègues ce que c'est que le Tour. La gestion est tellement rigoureuse.»

Bernaudeau désigne son coureur : «Il va péter les plombs à huit jours de l'arrivée. C'est sérieux. Le Tour, tu multiplies tout par 100, pour faire simple. Donc, on est obligés de le tenir. On lui dit : David, ça se gère. C'est une addition de récupérations. Se concentrer et optimiser.»

Pour l'ensemble du Tour, David Veilleux a donc laissé la gestion de ses communications avec les médias à Blaise, son massothérapeute, qui connaît bien son horaire du temps.

«Ce n'est pas par méchanceté», dit le Québécois, sentant encore le besoin de s'excuser. «Me connaissant, j'aurais dit oui, oui, oui, à gauche et à droite. Je vais perdre le contrôle.»

C'est presque arrivé au Critérium du Dauphiné, où il a scellé sa participation au Tour en gagnant la première étape et en portant le maillot jaune pendant trois jours. «J'ai réussi à le gérer, mais il ne fallait pas que ça dure trop longtemps non plus, se souvient-il. À un moment donné, j'ai mis mes limites.»

Le fait qu'il soit le premier natif du Québec à prendre part au Tour suscite de l'intérêt en France. Deux journalistes du Monde ont demandé à le rencontrer hier. Ils se sont fait dire non.

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La serveuse dépose deux espressos sur la table. Veilleux s'étonne de la quantité de sucre qu'on lui propose : «Les gens ici, ils mettent souvent deux sachets.» Lui s'abstient. Pour le goût et non pour des raisons nutritionnelles.

À 69-70 kg, soit deux ou trois de moins que l'an dernier, il ne cache cependant pas qu'il a fait des sacrifices. Ça se voit à la façon dont les manches étroites de son polo enserrent ses biceps. «Il a fallu que je fasse attention, constate-t-il. Veux, veux pas, c'est un rapport poids/puissance.»

Il en a senti les bénéfices au Dauphiné, où les longues montées ne l'ont pas trop émoussé. «Physiquement, je me sens à ma place. Au Dauphiné, j'étais de niveau, j'étais dans le peloton, je n'étais pas largué dès le début. Je sais que physiquement, je suis prêt pour le faire. Je suis de ce niveau-là, je suis confiant. Ce qui me fait le plus peur, c'est plutôt la nervosité. Ce que je ne contrôle pas dans le fond.»

David Veilleux regarde sa montre, un peu désolé de devoir interrompre l'entrevue. Une réunion d'équipe l'attend, suivie d'une séance photo et de la présentation officielle des coureurs, dans le port.

Après avoir fendu la foule sur leur vélo, les coureurs ont sauté dans un bateau, qui les a conduits vers la grande estrade, de l'autre côté de la baie.

Devant quelques milliers de spectateurs, David Veilleux est apparu aux côtés de son coéquipier Thomas Voeckler, le chouchou local. L'animateur Daniel Mangeas a seulement indiqué qu'il était Canadien et gagnant d'étape au Dauphiné. Veilleux n'en demandait pas plus, simplement heureux d'être là.

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Le Tour de fête

David Veilleux lit La Presse+. Il était un peu passé 8 h, donc 2 h du matin au Québec, quand il m'a envoyé un courriel poli pour me signaler une « petite erreur technique » dans mon papier du jour : «On a des vélos Colnago et non des Lapierre. C'est Dominique Rollin et les FDJ qui ont des Lapierre.» Il croyait pouvoir m'éviter une erreur dans l'édition papier. Trop tard. Je savais pourtant pour les Colnago. Je m'étais dit qu'ils avaient changé de marque cette saison. Ce sont les camions de location... Europcar qui m'ont confondu. Au fait, ce n'était même pas les vélos de la FDJ. Plutôt ceux de l'équipe du Tour de Fête, une initiative de l'écrivain et ancien PDG du journal Le Monde, Éric Fottorino. À l'occasion de ce 100e Tour de France, il a réuni 23 jeunes Français de toutes les origines ethniques et géographiques, qui franchiront l'intégralité du parcours du Tour (21 étapes, 3404 m), une journée avant les vrais coureurs. Ce n'est pas une course, mais les heureux élus, 18 garçons et

5 filles choisis sur la base d'une lettre de motivation et d'une entrevue, devaient avoir des aptitudes pour rouler. Ils seront encadrés par Fottorino et l'ancien coureur David Moncoutié. «C'est un défi personnel et de groupe, une aventure humaine où on a tous la même idée d'entraide», m'a dit Lilian Tronche, 22 ans, croisé tout juste avant leur dernière sortie d'entraînement hier. En 2001, Fottorino avait fait une expérience semblable en disputant le Grand Prix du Midi libre, partant une heure avant les coureurs. Il en avait tiré un livre, Je pars demain. Personnellement, je vous suggère plutôt la lecture de L'homme qui m'aimait tout bas, sur son père et son amour du vélo.