Bradley Wiggins, qui a signé dimanche la première victoire d'un Britannique dans le Tour de France, a réalisé son rêve de gamin passionné de cyclisme par un travail rationalisé à l'extrême.

«Les gars de Kilburn ne deviennent pas des favoris pour le Tour. Ils deviennent facteurs, laitiers ou travaillent à Ladbrokes (boutique de paris)», ironisait le coureur au départ du Tour.

Trois semaines plus tard, le gamin de ce quartier populaire du nord de Londres qui idolâtrait Miguel Indurain quand ses camarades d'école ne juraient que par le footballeur Gary Lineker est entré dans l'histoire du cyclisme sur route. Après avoir connu la gloire sur la piste (triple champion olympique de poursuite).

Comme beaucoup de ses compatriotes, Wiggins a dû s'exiler sur le continent pour faire ses armes. À partir de 2002, il a enchaîné les équipes françaises (Française des Jeux, Crédit Agricole, Cofidis).

Mais il est alors plus réputé pour sa consommation d'alcool et sa passion de la culture «mod», mouvement anglais qui vénère les Vespas, la danse et la musique (il est fan du groupe The Jam et collectionne les guitares), que pour ses résultats sportifs.

«Il y avait un environnement assez négatif, ajoute le coureur. En France, il y avait un discours de "cyclisme à deux vitesses". A force de l'entendre, on commence à y croire».

«Ensuite, je suis allé chez Garmin et j'ai vu Christian Vande Velde finir 5e (du Tour en 2008). Il suffit parfois de pas grand-chose pour s'inspirer. Ca a été un tournant».

Il se consacre totalement à la route et termine l'année suivante au pied du podium (4e). Mais il l'admet lui-même: s'il a pris conscience de ses capacités, il n'a pas su gérer l'énorme attente qui l'entourait.

Détachement

Souvent, il a cédé sous la pression. Attendu sur le Tour 2010 avec l'équipe Sky, nouvel étendard du cyclisme britannique, il termine 23e. L'an dernier, une chute dès la 7e étape lui brise une clavicule.

Wiggins a dompté ses angoisses à force de travail. Il a embrassé avec stakhanovisme une approche scientifique héritée de l'école britannique de la piste. Et y a trouvé la sérénité.

Il maigrit, parcourt des milliers de kilomètres au centre d'entraînement de Manchester et sur les pentes du volcan Teide aux Canaries équipé de capteurs dont il décortique les résultats. Au point que certains se demandent s'il ne fait pas plus confiance aux watts affichés sur son compteur qu'à ses propres sensations...

Ce spécialiste du contre-la-montre apprend à franchir la montagne. «C'est du travail, tout simplement. Du putain de travail, et un putain d'encadrement derrière moi. Et beaucoup de dévouement et de sacrifices dans ma vie», explique-t-il.

À 32 ans, Wiggins le père de famille (deux enfants) acquiert aussi un détachement nouveau.

Celui qui redoutait autrefois «l'échafaud» en cas d'échec rappelle aujourd'hui régulièrement à la meute des journalistes qui le poursuit que «ce n'est que du sport, pas une question de vie ou de mort».

Mais quand on remet en cause ses efforts, l'ex-fêtard s'emporte.

Au soir du 7 juillet, un journaliste lui rapporte les comparaisons qui fleurissent sur les réseaux sociaux entre sa toute-puissante équipe Sky et l'US Postal de Lance Armstrong, sous-entendant du dopage.

«Ce sont des putains de branleurs. Je ne supporte pas les gens comme ça», réplique-t-il. «C'est facile pour eux de s'asseoir derrière un pseudonyme sur Twitter et d'écrire leur merde plutôt que de se lever le cul et d'aller travailler dur pour réaliser quelque chose», a-t-il poursuivi, avant de conclure: «Salopes.»

Préparé jusqu'au moindre détail, enfermé dans une bulle avec une équipe de «Galactiques du vélo» (Boasson Hagen, Froome, Cavendish...), il a parcouru les 3 497 kilomètres du Tour de France sans jamais douter de sa force. Et le «bad boy» repenti est devenu un héros national