Cent ans après le premier passage du Tour de France, le Tourmalet reçoit jeudi l'hommage des coureurs du XXIe siècle dans le décor grandiose et quasi-immuable des Pyrénées, à plus de 2000 mètres d'altitude, pour une arrivée d'étape inédite.

L'Observatoire du Pic du Midi (créé en 1873) est toujours présent, en surplomb du col même si la modernité l'a rendu plus accessible. Les torrents, les prairies de montagne, les vols des chocards et des vautours dans le ciel, tout ici défie le temps. En 1910, déjà, les pionniers trouvaient un panorama comparable, hormis les immeubles bétonnés de la station de La Mongie en contrebas.

Dans l'ouvrage que l'Équipe a consacré au géant des Pyrénées (Le Tourmalet, sommet des Tourments), l'auteur, Patrick Fillion, explique que la route reliant Bagnères-de-Bigorre à Barèges fut inaugurée le 30 août 1864. À l'initiative de Napoléon III qui la finança sur les fonds de la cassette impériale.

Mais c'est bien le Tour qui a forgé la légende du Tourmalet, un nom aux origines incertaines. «Mauvais détour» pour les latinistes, «montagne lointaine» pour les Gascons. Le col pyrénéen le plus souvent emprunté dans l'histoire de la Grande Boucle garde au moins une part de mystère.

Photo souvenir

Question chiffres, le peloton est prévenu de la difficulté. Les deux versants présentent des pentes comparables (7,4 %). Plus longues toutefois par le côté de Luz-Saint-Sauveur (19 km), qui sera emprunté jeudi par la 17e étape, que par celui de Sainte-Marie-de-Campan (17,2 km), escaladé mardi par la Grande Boucle.

Au sommet, à 2114 mètres d'altitude, où les «cyclos», par dizaines, par centaines, observent une pause, le temps d'une photo-souvenir, le Tour passe sans s'arrêter. Le plus souvent, il se dirige vers d'autres ascensions. Aspin et Peyresourde quand la course prend la direction de l'est. Soulor et Aubisque, ou bien Luz-Ardiden, ou encore Hautacam, quand elle va vers l'ouest. Autant de noms qui ont enrichi l'histoire de la Grande Boucle, indissociable du Tourmalet.

En 1913, Eugène Christophe doit redescendre à pied, sur 14 kilomètres, vers la forge de Sainte-Marie-de-Campan pour réparer son vélo. En 1926, les conditions d'apocalypse conduisent Henri Desgrange, directeur-fondateur du Tour, à supprimer les délais d'arrivée dans une étape qui a vu le vainqueur, le Belge Lucien Buysse, rester 17 heures en selle pour parcourir les 326 kilomètres séparant Bayonne de Luchon.

Pleurs et sauvagerie

«Parmi le fracas des cascades et des sources, dans cette totale et navrante impression d'exil, glacée, ils allèrent jusqu'au bout de leur drame incroyable et tragique, avec des pleurs dans leurs yeux et de la sauvagerie plein le coeur», écrivit l'un des envoyés spéciaux de l'Auto (le journal organisateur), Charles-Anthoine Gonnet, un ancien médaillé olympique.

Quand le ciel se charge, quand l'orage gronde, le Tourmalet bascule dans la démesure de la nature. Quand le soleil illumine la voûte des Pyrénées, ce sont les coureurs qui peuvent écrire l'épopée. Ainsi Eddy Merckx, sprintant à l'approche du sommet en 1969, l'année de son premier succès dans le Tour, pour une cavalcade solitaire de 140 kilomètres jusqu'à Mourenx.

En haut du col, deux statues attendent les coureurs de la Grande Boucle. La première, une sculpture en fer de Jean-Bernard Métais, est surnommée Octave, le prénom de Lapize qui, le premier, franchit le sommet en 1910. La seconde, une stèle en place depuis 2001, est dédiée à Jacques Goddet, longtemps le patron du Tour. Un lieu de mémoire.