Le Tour de France, c'est bien plus que la lutte pour le maillot jaune. Il y a les courses dans la course. Voici un amalgame des petites et grandes histoires qui risquent d'animer ce 97e Tour.

Qui matera Cavendish?

Mark Cavendish revient avec la ferme intention de mettre le grappin sur le maillot vert de meilleur sprinteur. L'an dernier, le Britannique de 25 ans avait été clairement le plus rapide avec six victoires d'étape. Seul un déclassement pour sprint irrégulier l'avait privé du vert au profit de Thor Hushovd. «Une des pires décisions de l'histoire du sport», avait déclaré Cavendish, rien de moins. Diminué par des problèmes dentaires, il ne revendique que trois succès en 2010. Mais le mauvais garnement du peloton n'en a pas moins fait parler de lui: bras d'honneur à l'arrivée au Tour de Romandie, critique acerbe d'un coéquipier et initiateur d'une spectaculaire chute au Tour de Suisse, ce qui lui a valu le courroux de tout le peloton. Alors, qui pour le remettre à sa place? Pourquoi pas encore Hushovd, qui pourrait ainsi venger son coéquipier Heinrich Haussler, victime de Cavendish en Suisse? Ou la jeune sensation américaine Tyler Farrar? En tout cas, ce ne sera pas Tom Boonen, forfait lui aussi après la chute collective en Suisse.

Qui sera le plus motivé?

Après des années à frapper à la porte, le Torontois Michael Barry prendra enfin le départ de son premier Tour de France à 34 ans. «Une bonne nouvelle pour tous les fans canadiens de cyclisme», a bien résumé l'Américain George Hincapie le jour de sa sélection. Ce ne fut pas si évident. Barry a été préféré au sprinteur néo-zélandais Greg Henderson, qui connaît lui aussi une excellente saison avec l'équipe britannique Sky. Très apprécié par ses coéquipiers, le Torontois est le domestique par excellence. Il pourrait aussi être considéré comme l'intellectuel du peloton avec ses deux livres (Inside the Postal Bus et Le métier) et ses articles dans le New York Times. Son parcours sans tache a été assombri le mois dernier quand il a été accusé de dopage par Floyd Landis.

Photo: La Presse

Michael Barry (au centre) prendra enfin le départ de son premier Tour de France.

Qui, enfin, passera Ă  l'attaque?

Deux fois deuxième du Tour de France, Cadel Evans traînait une réputation de coureur attentif qui réagit plus qu'il n'agit. Même si c'était souvent de l'intelligence tactique plutôt que de la prudence. Or l'Australien a remporté les Mondiaux de Mendrisio l'an passé et la Flèche Wallonne devant Contador ce printemps. On l'a même vu placer des démarrages désespérés lors du dernier Giro, qu'il a fini cinquième. Il sera facile à repérer dans le peloton avec son maillot arc-en-ciel de champion mondial. Son talon d'Achille: la relative faiblesse de son équipe, BMC.

Qui dominera la montagne?

Le meilleur grimpeur, c'est Alberto Contador. Mais le maillot à pois est depuis longtemps destiné à un coureur qui n'est pas dans la lutte pour le jaune. Cela pourrait représenter un bel objectif pour le vieillissant Carlos Sastre. Certes, il n'est plus le coureur qui a gagné le Tour en 2008. Et des douleurs au dos, consécutives de deux chutes au Giro, l'ont fait hésiter à prendre le départ cette année. Mais il a l'expérience, il est régulier et ne dédaigne pas attaquer de loin, comme il l'avait fait dans le Port de Pailhères en 2003 lors de sa première victoire sur le Tour. Le peloton retrouvera d'ailleurs ce difficile col pyrénéen à la fin de la deuxième semaine. La grande interrogation: sa motivation. Sinon, le teigneux Thomas Voeckler, nouveau champion de France, ferait un beau candidat.

Photo: Bogdan Cristel, Reuters

À défaut d'endosser le maillot jaune, Carlos Sastre pourrait revêtir le maillot à pois.

Qui domptera les chronos?

Quelqu'un pour barrer la route de Fabian Cancellara? Avant de se mettre au service des frères Schleck, le champion du monde suisse aura une belle occasion de revêtir le maillot jaune, aujourd'hui, à l'issue du prologue de 8,9 kilomètres à Rotterdam. Et soyons sérieux: cette formidable machine à rouler n'a pas besoin de moteur pour avancer. Ses rivaux sont nombreux: l'Allemand Tony Martin, qui l'a battu lors du dernier chrono du Tour de Suisse, le Britannique Bradley Wiggins, le Slovène Janez Brajkovic, le Suédois Gustav Larsson. Un seul autre contre-la-montre est programmé cette année, le classique de l'avant-dernière journée, 52 kilomètres tout plats entre Bordeaux et Pauillac. L'an dernier, à Annecy, Alberto Contador, bien servi par une petite côte, avait battu Cancellara par trois secondes sur 40 km.

Photo: Christian Hartmann, Reuters

Fabian Cancellara.

Qui Ă©mergera?

Le Néerlandais Robert Gesink, l'agressif grimpeur de la Rabobank, dont les débuts à la Grande Boucle l'an dernier ont déraillé à cause d'une chute à la cinquième étape ? Le Tchèque Roman Kreuziger, qui, avec Ivan Basso, offre un duo de luxe à Liquigas? Ou même l'intrigant Slovène Janes Brajkovic, le coéquipier de Lance Armstrong qui a gagné le Critérium du Dauphiné Libéré? Mais soyons chauvins: le Canadien Ryder Hesjedal connaît une saison de rêve, avec une deuxième place à l'Amstel Gold Race et une victoire d'étape au Tour de Californie. L'an dernier, il s'était mis au service de Bradley Wiggins (quatrième) et Christian Vande Velde (huitième). Ce dernier n'est pas au sommet de sa forme et n'est pas à l'abri d'une défaillance. Hesjedal sera en mesure de prendre la relève.

Photo: PC

Ryder Hesjedal.

Quelle Ă©quipe aura le plus de pression?

Oui, Astana et RadioShack sont là pour gagner. Mais la nouvelle équipe britannique Sky mise gros aussi. Son budget de 11 millions d'euros en fait l'une des équipes les plus riches du peloton. La formation est bâtie autour de la star locale, Bradley Wiggins, l'ancien pistard devenu grimpeur dont le départ de chez Garmin avait suscité la controverse l'an dernier. Surprenant quatrième en 2009, Wiggins visera le podium en 2010. Prédiction: à son premier Tour de France, le Norvégien Edvald Boasson Hagen, lui aussi chez Sky, gagnera une étape.

 

Photo: Luk Beines, AFP

La nouvelle Ă©quipe britannique Sky mise sur la sensation locale Bradley Wiggins.

Qui sera l'animateur par excellence?

Alexandre Vinokourov, qui d'autre. Le Kazakh revient au Tour après le scandale de 2007 et son exclusion pour dopage sanguin. En dépit de sa réputation sulfureuse, on ne s'ennuie jamais avec Vino. Reste à voir comment il sera accueilli. De toute évidence, le principal intéressé est préoccupé, comme en témoigne cette lettre ouverte après sa victoire à Liège-Bastogne-Liège, accueillie avec froideur en avril dernier: «Aujourd'hui, je souhaite seulement qu'on me respecte comme je respecte tout le monde, mes collègues du peloton comme les journalistes. Je ne veux pas être la cible unique et trop facile de tous les maux du cyclisme.»

Photo: Luk Beines, AFP

Alexandre Vinokourov.

Qui sera le meilleur jeune?

Andy Schleck devrait devenir le deuxième coureur après Jan Ullrich à remporter le maillot blanc de meilleur jeune (25 ans ou moins) trois fois de suite. Mais le Luxembourgeois, deuxième derrière Contador l'an dernier, rêve plutôt au jaune. Deux facteurs inconnus: il a chuté lourdement la semaine dernière à l'entraînement et on vient d'annoncer son départ et celui de son frère Frank pour une nouvelle équipe la saison prochaine. Cela affectera-t-il ses relations avec son directeur sportif Bjarne Riis?

Qui suivre sur Twitter?

La déferlante Twitter n'a pas encore envahi l'Europe et le cyclisme, sport eurocentriste par excellence. Quand même, plusieurs cyclistes de renom s'y sont mis. L'Américain George Hincapie (@ghincapie) et l'Australien Robbie McEwen (@mcewenrobbie) sont particulièrement prolifiques. Alberto Contador (@acontador) tweete aussi, parfois en anglais, mais se révèle peu. Les frères Schleck, Andy (@andy_schleck) et Frank (@schleckfrank), font dans la légèreté et sont parfois révérencieux vis-à-vis Lance Armstrong (@lancearmstrong), précurseur et grand maître du 140 caractères dans le peloton. C'est d'ailleurs là qu'il avait étalé son peu de respect envers Contador. Le vétéran Chris Horner (@hornerakg) est plutôt drôle et a de l'esprit. À noter que Michael Barry (@michaelibarry) vient d'ouvrir un compte.

Photo: AFP

Andy Schleck: objectif maillot blanc.