Les bourses n'ont jamais été aussi élevées. Les foules n'ont jamais été aussi nombreuses. Et pourtant, les spécialistes du double ont peur de voir leur profession disparaître.

En 2006, l'ATP a raccourci les matchs de double afin de favoriser la participation des joueurs de simple. Les matchs se jouent sans avantage et la troisième manche a été remplacée par un bris d'égalité de 10 points, ce qui limite la durée des matchs à une heure et demie. «Ça nous permet de jouer contre les meilleurs joueurs de simple comme Federer et Nadal, mais c'est frustrant car tu perds certains matchs où tu as gagné plus de points que l'adversaire», dit Mike Bryan, numéro un mondial en double avec son frère jumeau Bob.

Les jumeaux Bryan, éliminés en demi-finale de la Coupe Rogers, mènent une confrérie d'une vingtaine de spécialistes du double sur le circuit. Une confrérie qui se renouvelle difficilement au fil des ans et des retraites. «C'est devenu très difficile pour les nouvelles équipes de percer», dit Mike Bryan.

Ce n'est pas que la jeune génération de joueurs de double manque de talent. C'est plutôt une question de règlements. Depuis 2006, un joueur peut utiliser son classement de simple ou son classement de double afin de s'inscrire en double. À titre d'exemple, le numéro un mondial en simple aura préséance sur le numéro deux mondial en double. Un détail lourd de conséquences. «Cette semaine à la Coupe Rogers, les 24e et 25e joueurs en double ne pouvaient entrer au tableau principal ensemble, dit l'entraîneur québécois Louis Cayer, qui travaille maintenant pour la Fédération britannique de tennis. «Notre meilleur joueur en Grande-Bretagne, Ross Hutchins, est classé 35e au monde et il a participé à la Coupe Rogers seulement parce qu'Andy (Murray, troisième au monde en simple) a accepté de jouer avec lui...»

Louis Cayer s'étonne que l'ATP, qui consacre 20% de la bourse totale d'un tournoi au double, ait dû se tourner vers les joueurs de simple afin de mousser la popularité du double. «80% des joueurs de club jouent en double, dit-il. Le double a surtout un problème de marketing. Les gens veulent voir des vedettes. Il faudrait faire une meilleure promotion des équipes de double.»

Côté marketing, Louis Cayer fait sa part. Il a trouvé un surnom à sa dernière paire de protégés, les Britanniques Colin Fleming et Ken Skupski: les Boom Boom Brits (BBB). «Les gars crient même boom après avoir remporté un point important», dit-il. Ses Boom Boom Brits ont du talent. Ils ont même battu les Bryan au tournoi de Queen's après avoir obtenu un laissez-passer de la fédération britannique. Mais ils croupissent présentement dans les tournois de moindre envergure. «Comment veux-tu encore battre les Bryan quand le système t'empêche de jouer contre eux?», demande Cayer.

Le directeur de la Coupe Rogers, Eugène Lapierre, pense aussi que le double manque de vedettes. «Au tennis, c'est le vedettariat qui attire», dit-il.

Le constat d'Eugène Lapierre est d'autant plus juste que le match de double le plus populaire de la Coupe Rogers n'a pas été la finale d'hier sur le court central, remportée par Mahesh Bhupathi et Mark Knowles en deux manches de 6-4 et 6-3 contre Andy Ram et Max Mirnyi. Ce fut plutôt le duel de première ronde opposant le duo de Novak Djokovic à celui de Rafael Nadal sur un court numéro un plein à craquer. «Et Nadal jouait avec son entraîneur!», dit Cayer. De quoi faire écho aux critiques voulant que les joueurs de simple voient le double comme une pratique supplémentaire en début de tournoi...