La Québécoise Françoise Abanda est devenue cette semaine la joueuse de tennis la mieux classée au Canada. Actuellement 128e au classement de la WTA, Abanda a devancé pour la première fois Eugenie Bouchard (165e), qui était au sommet du classement national depuis 2013.

Abanda a toutefois estimé sur son compte Twitter qu'elle ne recevrait jamais le même soutien que Bouchard en raison de la discrimination dont elle affirme être victime. En réponse à un amateur qui s'étonnait du manque d'enthousiasme du public à son endroit, l'athlète de 21 ans a écrit: «Je n'obtiendrai jamais le même traitement parce que je suis Noire. C'est ça la vérité.»

La Montréalaise est actuellement à Trnava, en Slovaquie, où elle a remporté mercredi son match de premier tour d'un tournoi ITF. Ses commentaires ont évidemment provoqué de vives réactions, mais elle s'est expliquée plus tard en conférence téléphonique.

«J'aimerais d'abord préciser que cela n'a rien à voir avec Eugenie Bouchard, a-t-elle insisté. J'ai beaucoup d'admiration pour ce qu'elle a accompli et je ne crache sûrement pas sur elle. Le problème est beaucoup plus profond et c'est un problème de race.

«J'ai vécu au cours de ma carrière des situations que personne ne devrait vivre. Quand j'étais jeune, on m'a déjà crié: "Rentre dans ton pays, espèce d'Africaine!" Je m'identifie comme Montréalaise et je suis fière de l'être, mais j'ai des centaines d'exemples dans la tête, des choses que je ne peux répéter, qui m'ont fait mal et qui m'ont souvent fait douter.»

«Le tennis est déjà un milieu dur, on ne devrait pas avoir à vivre en plus des situations injustes liées à la couleur de sa peau.»

Cécile Abanda, la mère de Françoise, qui, comme son père, est née au Cameroun, a confirmé en entrevue que toute la famille avait souvent été victime de discrimination. «Je pourrais écrire un livre pour raconter toutes les épreuves qu'elle a dû affronter, qu'elle a surmontées à force de caractère et de persévérance, a rappelé Mme Abanda en entrevue. Elle a souvent été blessée et bien des gens ont douté d'elle, de ses efforts.»

Mme Abanda juge aussi que sa fille n'a pas toujours bénéficié du soutien que d'autres athlètes reçoivent de Tennis Canada. Françoise a d'ailleurs rappelé mercredi qu'elle avait été la seule joueuse d'élite exclue d'une vidéo promotionnelle de l'organisme, l'été dernier, et elle a déploré la quasi-absence de couverture médiatique après une blessure à la tête survenue pendant une rencontre de Fed Cup disputée au stade IGA il y a quelques semaines.

«Je pense que tous les joueurs méritent de l'attention», a souligné celle dont le meilleur classement en carrière est une 111e place, l'automne dernier. «Je ne m'attends pas à obtenir la visibilité d'une numéro un mondiale et je sais que j'ai encore beaucoup à prouver, mais je crois mériter davantage que ce que j'obtiens présentement.

«Mon objectif, c'est l'égalité, et c'est la raison pour laquelle je m'exprime aujourd'hui. Les choses évoluent au Québec et ailleurs, c'est vrai, mais ce n'est pas normal que des gens vivent encore des situations injustes en raison de la couleur de leur peau.»

Courage

Abanda assure néanmoins être en bons termes avec le personnel de Tennis Canada. Privée d'un entraîneur attitré depuis plusieurs mois, elle a souvent été supervisée par Sylvain Bruneau, le capitaine de l'équipe canadienne de Fed Cup, aussi responsable de l'élite féminine.

L'entraîneur chevronné, qui était aux côtés de l'athlète l'été dernier à Wimbledon quand la vidéo a été rendue publique, a expliqué: «En tant qu'employé de Tennis Canada, je crois que nous traitons tous les joueurs et joueuses de la même façon, le seul critère étant leur talent au tennis. C'est ce que je lui ai répété à l'époque, mais je comprends que Françoise puisse voir les choses dans une autre perspective avec son vécu au tennis et dans la vie de tous les jours.»

Abanda, qui revient au jeu cette semaine après ses déboires de la Fed Cup, a remporté une belle victoire mercredi, 6-2 et 6-4, contre la Belge Yanina Wickmayer, septième favorite du tournoi de Trnava et ancienne 11e mondiale.

Sa mère aurait toutefois préféré qu'elle ne joue pas: «Après sa commotion, Françoise a été très malade et elle toussait encore beaucoup quand elle est partie pour la Slovaquie. Le médecin lui avait conseillé d'attendre, moi aussi, mais elle ne voulait pas arriver à Paris [pour le tournoi de Roland-Garros, la semaine prochaine] sans avoir joué un seul match sur la terre battue.»

Quand nous lui avons parlé, en fin de soirée à Paris, Mme Abanda s'est toutefois montrée surtout fière du courage affiché par sa fille pour dénoncer une situation qui a finalement peu à voir avec le résultat d'un match ou un classement mondial.