Chuuuuut!» Après trois heures et quarante-deux minutes de jeu, la tension est à son comble sur le court central de Roland-Garros. Le scénario tant redouté par les milliers de spectateurs depuis le début de la cinquième manche est sur le point de se concrétiser. Ernests Gulbis met son service en jeu, patiente une quinzaine d'échanges, puis Roger Federer envoie un revers parallèle à l'extérieur. Sa 59e faute directe du match sera de trop.

Un peu plus loin chaque année de son deuxième sacre à Roland-Garros - il avait gagné en 2009 -, Roger Federer, 32 ans, part cette fois-ci en huitième de finale, son élimination la plus rapide depuis sa défaite au troisième tour contre Gustavo Kuerten, il y a 10 ans.

«Je me sentais physiquement très bien, j'étais mentalement prêt à me battre, mais je n'ai pas pu rentrer suffisamment dans ses jeux de service. À la cinquième manche, ce n'est pas toujours le meilleur joueur qui gagne. Chacun a ses chances. De toute évidence, il s'en est mieux sorti que moi», dit Federer, qui a perdu quatre finales à Roland-Garros, toutes contre Rafael Nadal. Dimanche, Federer s'est incliné devant Ernests Gulbis par la marque de 6-7 (5), 7-6 (3), 6-2, 4-6 et 6-3.

S'il est déçu, Roger Federer savait très bien le danger que représentait Ernests Gulbis, l'électron libre du tennis masculin, sur le court comme à l'extérieur. Le Letton de 25 ans est l'un des joueurs les plus talentueux du circuit, mais aussi l'un des plus imprévisibles. Dans un bon jour, il peut sortir n'importe qui, comme il l'a montré dimanche à Federer et à son public du court Philippe-Chatrier.

Et des bons jours, il en connaît beaucoup depuis le début de la saison. Avec sa victoire à Nice la semaine qui a précédé Roland-Garros, il s'est hissé au 17rang mondial, le meilleur classement de sa carrière. En 2012, quand il a connu un passage à vide le menant hors du top 150 mondial, il a songé brièvement à tout abandonner. De son propre aveu, sa victoire de dimanche est la plus importante de sa carrière. «L'objectif était de jouer sur son revers (de Federer). Il ne faut pas trop jouer sur son coup droit, qui est dangereux et qui est le plus beau du monde», dit-il.

Dans l'univers plutôt conservateur du tennis, Ernests Gulbis détonne aussi de ses collègues de travail à l'extérieur du terrain. Issu d'une famille très riche en Lettonie, il va à l'opéra, apprécie l'art moderne et lit des auteurs comme Haruki Murakami et Fyodor Dostoïevski. En 2009, il a passé une nuit en prison en Suède parce que la police le soupçonnait d'avoir sollicité une prostituée (un malentendu, puisqu'il a expliqué avoir rencontré une femme sans connaître sa profession).

En entrevue, il dit ce qu'il pense et pense ce qu'il dit. «La chose la plus facile dans la vie, c'est de dire la vérité», dit-il. Sa déclaration qui a retenu l'attention plus tôt cette semaine: il ne faudrait pas que ses soeurs deviennent joueuses de tennis, parce que «c'est un dur choix de vie». «Une femme doit profiter de la vie un peu plus, penser à une famille, des enfants.»

Plus discipliné à ses débuts sur le circuit, Ernests Gulbis a aujourd'hui comme devise le travail et la persévérance. «Vous ne pouvez pas avoir de résultats sans travailler fort. Si vous travaillez fort au bureau la semaine, vous apprécierez davantage votre fin de semaine que si vous n'avez fait que rester à la maison et boire de la bière», dit-il. Malgré son changement de philosophie, il a gardé une mauvaise habitude sur le court.

Même le jour où il a battu Roger Federer à Roland-Garros, il a trouvé le moyen de briser une raquette après avoir raté un coup. «Je devais briser au moins une raquette sur tous les courts du monde, sinon j'aurais manqué de respect au court central», dit-il en riant.