Quelques heures avant de s'envoler à Montréal pour y effectuer son retour à la compétition, Rafael Nadal a accueilli chez lui nos collègues du quotidien sportif Marca, le temps d'une rare entrevue de fond. De l'état de son genou à sa relation avec Roger Federer, en passant par le divorce de ses parents, le tennisman espagnol multiplie les confidences franches et étonnantes. La Presse publie en exclusivité américaine les meilleurs extraits de cet entretien.

Q: Comment te sens-tu physiquement? Tu disais que tu ne reviendrais pas tant que tu ne sentirais pas à 100%.

R: Je me suis senti mieux en m'entraînant. Honnêtement, je ne sais pas si je suis à 100%; je l'espère, mais on ne peut pas le savoir tant qu'on n'est pas en compétition et qu'on n'a pas fait des efforts jusqu'à la fin. Ce que j'ai accompli en m'entraînant me satisfait. Je me suis suffisamment amélioré et j'ai le sentiment de pouvoir bien démarrer. Si après, les choses ne se passent pas comme prévu, ce sera une petite déception. Mais j'espère que cela ne se passera pas comme ça parce que, sinon, je n'irais pas (à Montréal).

Q: As-tu hésité entre revenir au jeu à Montréal ou attendre quelques jours de plus?

R: Oui. Je veux être certain de pouvoir y aller sans éprouver de douleur. Mais je ne voulais surtout pas arriver là-bas et me sentir mal. Je me suis entraîné pendant quatre jours sans douleur. Je peux courir en toute confiance et, maintenant, c'est le moment de me lancer.

Q: Les médecins se demandent depuis un petit bout de temps ce qu'il y a chez toi...

R: Cela ne dépend pas que des médecins, mais aussi de moi. Je ne crois pas que ce problème au genou signifie la fin de ma carrière. En 2005, la situation était beaucoup plus délicate à cause de mon pied. J'avais 19 ans et je venais de débuter. Aujourd'hui, j'ai 23 ans et beaucoup plus de trophées à mon palmarès.

Q: Mais pour le public, cette blessure arrive au pire moment, alors que tu étais numéro un...

R: Existe-t-il un bon moment? Cela arrive quand cela arrive et je tiens à remercier les gens de leur appui. Pour être sincère, ma plus grande fierté n'a pas été de devenir le numéro un mondial. Cela a été mes victoires à Wimbledon, en Australie, et aux Jeux olympiques l'an dernier, de même que la victoire de l'Espagne en Coupe Davis l'an dernier, même si je n'étais pas présent. Quand je suis devenu numéro un pour la première fois, cela m'a fait beaucoup d'effet, car j'ai été numéro deux pendant toutes ces années; c'était devenu un objectif. Mais être numéro un ou deux, ça ne change pas ma vie et je ne me réveille pas plus heureux le matin. Par contre, quand j'ai remporté Wimbledon l'an dernier, j'ai été heureux pendant deux mois. C'était l'un de mes rêves dans la vie.

Q: As-tu revu ta partie contre Soderling à Roland-Garros? Est-ce que ça été la défaite la plus douloureuse de ta carrière?

R: Je ne l'ai pas vue et je ne sais pas s'il s'agit de ma défaite la plus douloureuse. À tout moment, tu peux avoir une défaite crève-coeur. Il a profité des rares fois où je n'ai eu aucun contrôle sur la situation. Ce fut douloureux, c'est clair. Pas seulement la défaite à Roland-Garros, mais aussi parce que mes genoux me faisaient mal depuis longtemps. C'était une saison un peu difficile et quand tout s'accumule et que tombe le coup de massue lors du tournoi où l'on veut le mieux faire, alors c'est la catastrophe.

Q: Federer va très bien depuis ton absence.

R: Il est où il mérite d'être. Les chiffres parlent d'eux-mêmes.

Q: Est-ce que le Suisse est le meilleur joueur de l'histoire du tennis?

R: Il est le meilleur de mon vivant, ça c'est certain. Après, il y a Rod Laver, le seul que je connaisse à avoir accompli quelque chose de comparable. Il faut tenir compte qu'il a gagné deux fois le grand chelem. Et pendant sept ans, probablement les meilleures années de sa carrière, il n'a même pas participé aux tournois qu'on appelait «amateurs» à l'époque. Tout cela me fait dire qu'il était le meilleur joueur de l'histoire. Mais c'est difficile à dire tant que la carrière de Federer ne sera pas terminée.

Q: Entrevois-tu la possibilité de remporter 15 tournois majeurs, comme l'a fait Federer?

R: Non, pas à l'heure actuelle.

Q: En gagner 10?

R: J'en suis à combien? Six? Il m'en faut donc encore 40%. À mon âge, seul Borg avait autant de titres. Je ne dis pas que je ne vais pas y arriver, mais j'y suis toujours allé petit à petit, tant dans ma vie que dans ma carrière. Je fonctionne au jour le jour. Je m'entraîne le matin et je m'entraîne bien. J'arrive à Montréal en essayant, victoire comme défaite, d'avoir le sentiment d'être revenu au jeu avec certaines garanties.

Q: Est-ce que tu as félicité Federer pour ses deux titres et la naissance de ses jumelles?

R: Je lui ai envoyé trois messages et chaque fois, il m'a répondu.

Q: Est-ce que tu penses réaliser une bonne performance aux Internationaux des États-Unis, dans un mois?

R: Je ne sais pas. Cela dépend de différents facteurs. De ma condition dans les tournois précédents, de la façon dont se comportent mes genoux, de mon degré de confiance au début du tournoi afin de pouvoir dire: regardez, je suis prêt. Si je vois que je doute à Montréal et à Cincinnati, cela sera plus difficile. Je peux atteindre la demi-finale ou les quarts de finales de ces deux épreuves et avoir de mauvaises sensations. Ou atteindre le deuxième et le troisième tours et me sentir davantage préparé. Ces derniers temps, je me sens aussi solide sur terre battue que sur le dur. Sur un sol rapide, si je jouais aussi mal que j'ai joué sur terre battue, je n'aurais pas gagné autant. C'est la vérité. Quand je joue bien, je peux jouer à un niveau similaire sur terre battue et sur surface rapide. Par contre, quand je suis à un niveau normal, c'est plus facile de gagner sur terre battue que sur la surface rapide.

Q: Es-tu conscient que tes duels avec Federer sont du même niveau que les plus grands, tels ceux de Borg contre McEnroe?

R: Oui, peut-être. Je suis resté surpris l'autre jour quand on m'a dit qu'ils ne s'étaient rencontrés que quatre fois en finales de tournois du grand chelem. Seulement quatre! Probablement que les grands duels passent à l'histoire car ils vont au-delà du simple match. Il est évident que mes parties face à Federer sont intéressantes depuis longtemps, très serrées, et avec une grande intensité. Quand je joue contre lui, je sens que c'est spécial et je suppose que les gens ressentent la même chose.

Q: Federer est-il un grand monsieur?

R: Je me suis toujours bien entendu avec Federer. Ce qu'il y a de bien entre nous deux, c'est que nous savons perdre avec dignité. Nous nous protégeons l'un l'autre. Il est plus sérieux que moi et moins expressif que moi, mais c'est un gentleman.

Q: Est-ce que les doutes sont semblables à ceux de 2005, alors que tes problèmes aux pieds t'ont éloigné des courts pendant quatre mois?

R: C'était un problème beaucoup plus sérieux, je crois. En 2005, cela aurait pu être dangereux. Cette fois, il faut juste du temps mais ce n'est pas dangereux.

Q: As-tu eu peur pour ta carrière à ce moment-là?

R: Plus que pour ma carrière, j'ai eu peur de ne pas pouvoir poursuivre au même niveau. Que vous le vouliez ou non, c'était la première année que j'explosais, que je terminais au deuxième rang. Maintenant, j'ai quelques années d'expérience et cela fait en sorte que je suis plus serein. Cela me donne de la tranquillité. Peu importe ce qui arrivera maintenant, j'ai déjà accompli beaucoup de choses.

Q: La douleur ne disparaît jamais?

R: La douleur est toujours là, et quand tu restes plus d'un mois sans jouer, ça peut faire encore plus mal au début. Mais les choses sont allées en s'améliorant. La semaine dernière, je me suis bien entraîné mais je ne sais pas si tout va bien parce que je n'ai pas trop forcé jusqu'ici.

Q: N'y a-t-il pas des risques qu'il se brise à nouveau?

R: Ce n'est pas une rupture. Il y a toujours des risques quand on fait de la compétition aussi intense. Mon problème, ce sont deux oedèmes dans l'articulation du genou, un problème à long terme. Ce n'est pas comme une rupture d'un ligament à la suite de laquelle il est possible de récupérer en trois semaines.

Q: Que réponds-tu aux ignorants qui prétendent que ta baisse de régime est due à la séparation de tes parents?

R: Les problèmes familiaux ont débuté juste après l'Australie. Ensuite, je vais à Rotterdam et j'atteins la finale. Après, je remporte le tournoi d'Indian Wells, j'atteins les quarts à Miami et je remporte au total trois tournois lors de la saison sur terre battue. La discussion s'arrête ici. Sur le plan personnel, tout cela t'affecte et n'aide pas ton rendement. En fin de compte, dans le sport, quand tu gagnes, c'est la folie; mais quand tu as des problèmes à l'extérieur qui t'affectent personnellement et que tu es loin de chez toi, tu perds davantage.

Traduction de Pascal Milano et Mario Cloutier

Photo: AFP

Rafael Nadal n'a jamais paru dominer la planète tennis autant que lors de sa victoire de l'an passé, contre Roger Federer, sur les pelouses de Wimbledon.