Régis est monté sur la scène patentée dans un coin du Beaubien Déli. Il s'est assis. De la poche intérieure de son vieux veston gris, il a sorti un bout de papier plié en quatre.

Il l'a déplié, a écarquillé les yeux et s'est mis à essayer de déchiffrer le texte qu'il avait écrit de sa main. Pour une raison ou une autre, il n'y arrivait pas.

«Je suis parti trop vite à matin pis j'ai oublié mes lunettes sur la table de la cuisine, tabarnak!»

C'étaient les premiers mots de Régis Lévesque pour sa dernière conférence de presse à vie.

Il en a donné des dizaines aux quatre coins du Québec au fil de sa longue carrière. Il a harangué les journalistes, leur promettant mer et monde. Il a même une fois fait venir la police à la conférence pour que deux boxeurs ne se battent pas. Il a «promoté» comme nul autre.

Mais hier, c'était une conférence de presse bien spéciale. Lévesque lançait un livre de ses mémoires, écrit par lui et édité par le documentariste Simon Rodrigue. Celui-ci prépare aussi un film sur cet homme qui a tant fait pour la boxe au Québec.

«C'est ma dernière conférence de presse à vie, pis elle me rend plus nerveux que toutes les autres», a lancé Lévesque, 81 ans, la santé fragile, mais la voix toujours aussi tonitruante.

La conférence avait lieu au Beaubien Déli. «À mon bureau», comme aime le rappeler Lévesque, qui passe toutes ses journées dans ce restaurant de l'est de la ville. En face, de l'autre côté de la rue, se dressait avant le Centre Paul-Sauvé.

Le vieil homme n'a toujours pas digéré sa démolition, 25 ans plus tard. C'est là que Lévesque a réussi ses coups les plus fumants. «Dave Hilton l'a rempli cinq fois, avec 18 000 spectateurs payants pis toutte», rappelle-t-il.

Des dizaines de vétérans étaient là dans le restaurant pour la sortie du livre, intitulé Mes 50 ans de promotion de la boxe en province. Des journalistes et animateurs comme Gilles Proulx ou Michel Beaudry. Des figures de la boxe comme Yvon Michel et le juge Guy Jutras. Il y avait aussi certains de ses anciens boxeurs, comme Robert Cléroux et Alain Bonnamie. Dave Hilton n'a pas été invité, pour s'assurer que l'attention des médias reste sur la sortie du livre.

«Moi, ça m'aura pris quatre heures de voiture en tout pour venir ici, explique Alain Bonnamie. Mais je voulais le faire pour venir serrer la main à Régis et le remercier. Sans lui, je n'aurais jamais eu de carrière dans la boxe.»

Rire et pleurer

Ils étaient tous là, donc, pour saluer ce grand bâtisseur qui connaît des temps difficiles. Lévesque n'a plus un rond. «J'ai tout perdu à Blue Bonnets», dit-il.

Son livre est pour lui un baume. Il aurait très bien pu ne jamais voir le jour. Il y a 10 ans, quand sa carrière était déjà pas mal terminée, Lévesque a pris six mois pour écrire ses mémoires. Il l'a fait à la main et à la machine à écrire. Puis il a rangé la grande pile de feuilles dans un garde-robe avec le vague projet d'en faire un livre.

Les années ont passé. Lévesque a enfilé des centaines de plats de smoked meat et de spaghetti au Beaubien, mais le livre n'était jamais publié. Puis le documentariste Simon Rodrigue a offert à l'ancien promoteur de l'aider à tout retranscrire.

«C'était une pile de feuilles qui tenait par une ficelle», raconte Rodrigue, qui a passé les six derniers mois à travailler là-dessus presque chaque jour. «J'ai mangé au Beaubien avec Régis au-dessus de 200 fois», dit-il.

Lévesque était hésitant jusqu'à la dernière minute. Mais hier, il était fier du livre. «C'est juste des histoires fortes. Les histoires médiums sont pas là-dedans», dit-il, avec l'air de celui qui ne vend pas quelque chose pour la première fois...

«Il y a 30 pages sur ma vie familiale, mon nombre de femmes pis toutte. Asteure je vis tout seul depuis 10 ans. J'en prends plus d'autres. Quand je rentre chez nous le soir, je dis que je rentre dans ma cathédrale. Une belle cathédrale 6 1/2.»

Hier, on a demandé à Régis Lévesque à quel moment de sa vie il a été le plus heureux. Il n'a pas parlé de boxe. «Dans le temps, j'avais un ranch avec 25 chevaux à Trois-Rivières. Quand je pense que je l'ai perdu aux courses tabarnak. C'est là que j'aurais passé ma retraite.»

Avec Lévesque, le rire et la tristesse ne sont jamais bien loin l'un de l'autre. Mais hier, au moins, il y avait ce livre. Lévesque était au centre de l'attention. Il n'avait plus 81 ans, il n'était plus malade. Il était, l'espace d'une conférence de presse, le Régis Lévesque des grands jours.

Où acheter le livre?

Samedi soir au Centre Bell, avant le combat d'Artur Beterbiev, se tiendra un hommage à Régis Lévesque. Les amateurs de boxe qui veulent acheter le livre ne le trouveront toutefois pas sur place. Le Centre Bell demandait trop cher, selon Simon Rodrigue.

Ceux qui veulent se le procurer peuvent le faire sur le site www.regislevesque.com. Le livre «ne gagnera peut-être pas de prix Goncourt», comme l'a dit hier Michel Beaudry. Mais c'est une oeuvre fascinante pour tout amateur de boxe.

C'est une manière de se retrouver, l'espace de 300 pages, dans la tête de Régis Lévesque. C'est aussi une façon de revivre cette époque où le Centre Paul-Sauvé accueillait 18 000 spectateurs pour voir deux boxeurs locaux.

photo archives la presse

En face du Beaubien Déli, de l’autre côté de la rue, se dressait avant le Centre Paul-Sauvé.