Jean Pascal et Tavoris Cloud ne s'affronteront pas. Leur duel vient s'ajouter à la longue liste de ces combats mort-nés qui jalonnent l'histoire de la boxe. Par exemple ce combat que voulait organiser, il y a maintenant 30 ans, le plus fantasque des promoteurs québécois. Retour en arrière.

L'homme est assis devant un restaurant de la rue Beaubien, dans l'est de la ville. Le soleil plombe et il plisse les yeux. Il est seul, le pantalon rapiécé, la chemise déboutonnée à cause de la canicule, un café tiède dans la main.

Régis Lévesque est de mauvais poil. «Ma santé va mal et je n'ai pas de combat à l'horizon, c'est mort, mort, mort», lâche celui qui se targue d'avoir «booké 100 fois l'ancien Forum».

Malgré son humeur maussade, Lévesque est toujours prêt à raconter une bonne histoire. Il a beau avoir 79 ans, sa mémoire est intacte: il se rappelle très bien ce jour de 1985 où il a rêvé d'organiser le combat le plus fou de l'histoire de la boxe québécoise. Et comment il a laissé des plumes dans l'aventure.

À l'époque, Régis Lévesque n'était déjà plus le grand promoteur qu'il avait été. Eddie Melo l'avait quitté. Melo, ç'avait été son grand succès. Il remplissait les salles du Tout-Montréal plusieurs fois par année. C'était aussi avant l'avènement des frères Hilton. Lévesque était dans un entre-deux. Il avait besoin de quelque chose, d'un combat susceptible de le renflouer.

En ce jour de 1985, le promoteur était assis dans son restaurant, le Régis Steakhouse, au coin de la rue Viau et de l'autoroute Métropolitaine. La place était ouverte depuis peu. Elle fermerait moins de deux ans plus tard. Il ne buvait pas de bière, parce qu'il n'a jamais bu d'alcool, dit-il. C'est là, bien à jeun, que Régis Lévesque a conçu le plan le plus ambitieux de sa longue carrière.

Lévesque voulait organiser le retour de Robert Cléroux, un poids lourd de Laval dont le plus grand fait d'armes est d'avoir été champion canadien. Lévesque a toujours adoré les retours. Il a organisé celui d'Yvon Durelle, d'Armand Savoie et de Dave Hilton. «Les retours, ça marche, c'est comme les revanches», dit-il du ton de celui qui sait.

Lévesque voulait lui opposer Joe Frazier. Le temps de ses combats contre Ali était depuis longtemps révolu. L'ancien champion du monde n'avait pas boxé depuis trois ans. Il avait 40 ans passés à l'époque. Cléroux, lui, était âgé de 46 ans.

«C'est un has been contre un boxeur qui n'a jamais été, écrivait un journaliste du magazine People, acerbe. Cléroux a été champion canadien de boxe, ce qui revient à être le couturier le plus populaire d'Albanie.»

La Régie - à l'époque la Commission athlétique - était aussi enthousiaste que ce journaliste. Elle ne voulait rien savoir de ce combat de vétérans. C'était bien avant l'époque de Bernard Hopkins. «Ça faisait cinq, six ans que je ne m'étais pas battu, raconte Robert Cléroux, au bout du fil. Ils ne voulaient rien savoir de me donner un permis!»

Lévesque a décidé de faire à sa tête. En mars 1985, il a fait venir Frazier à Montréal pour une conférence de presse au Régis Steakhouse. Les journalistes ont vu les deux hommes signer le contrat. L'Américain est reparti avec en poche 25 000 $ de l'argent de Lévesque.

Mais le lendemain, The Gazette titrait: «Le combat sera illégal.»

Les requins

Mais Lévesque y tenait mordicus, à ce combat. Il a donc réfléchi au moyen de l'organiser en toute légalité. La solution? Un avion.

Le promoteur louerait un avion gigantesque, y installerait un ring et des sièges pour 400 journalistes. L'avion survolerait les eaux internationales pendant que se livrerait entre deux hublots le combat le plus surréel de l'histoire.

«Ça avait du punch, comme idée, sourit Lévesque. Joe Frazier avait un style rough. Il n'allait pas au plancher. Cléroux n'allait pas au plancher non plus. C'étaient deux cogneurs. J'étais sûr que ça allait marcher.»

Il restait à trouver un avion. Son ami l'homme d'affaires Guy Labrecque a réussi à en dénicher un au Texas. Un énorme Airbus de fret. «Une affaire pour transporter des tanks!»

Les propriétaires demandaient 600 000 $ pour l'aller-retour vers Montréal. «Quand on leur a dit que c'était pour un combat de boxe et que ce serait diffusé partout dans le monde, ils ont réduit le prix de moitié, raconte Lévesque. Ils demandaient 300 000 $.»

Les deux boxeurs recevraient environ 150 000 $ chacun. Le combat coûterait donc au bas mot 600 000 $ à organiser.

C'était beaucoup d'argent, mais Lévesque y croyait. Il avait même déjà pensé à ses affiches. «J'aurais mis les noms de Cléroux et de Frazier. Et en bas, il y aurait eu la mer et des ailerons de requins qui sortent. Si l'avion était tombé, les 400 journalistes, les boxeurs et moi, on aurait tous été morts.

«Il n'y en a pas un qui aurait manqué ça, au cas que ça tombe. Le gars au Japon, dans la nuit, à 4h du matin, il l'aurait regardé pareil, le combat.»

On commençait déjà à l'appeler «le combat à Régis». Mais Lévesque n'a trouvé aucun homme d'affaires qui partage suffisamment son enthousiasme pour investir dans l'aventure. Le projet est tombé à l'eau. Lévesque y a laissé 200 000 $ de son argent. «Ça m'a coûté cher, cette histoire-là!»

Ni Frazier ni Cléroux n'ont plus jamais boxé. Lévesque, lui, a organisé la promotion de dizaines de combats encore. Mais jamais aucun d'une telle envergure.

«C'était un rêve pour moi d'organiser un combat avec Frazier, un ancien champion du monde poids lourd qui avait battu Ali.»

Le rêve ne s'est pas réalisé. Mais il s'en est fallu de bien peu. Et aujourd'hui encore, 30 ans après les faits, si vous le croisez rue Beaubien, Régis Lévesque se fera un plaisir de vous raconter l'histoire du combat qui aurait dû être le clou de sa carrière, mais qui ne s'est jamais concrétisé.

Photo archives PC

Robert Cléroux et Joe Frazier le 20 mars 1985.