Quand l'arbitre a mis fin au combat samedi soir, Bermane Stiverne a commencé à sautiller sur le ring. Dans l'aréna, la foule s'est tue. Le combat avait lieu à Los Angeles. Le favori local, Chris Arreola, était toujours sonné. Stiverne venait de lui passer le K.-O.

À peu près personne n'a applaudi le gagnant. En Californie, un boxeur né en Haïti et élevé à Montréal est considéré comme un étranger. Mais de la déception de la foule, Stiverne n'avait rien à faire. Il sautillait sur le ring en se disant qu'il avait réussi, qu'il avait suivi son plan de match et qu'il avait gagné le combat.

Ça a duré moins d'une dizaine de secondes. Puis soudain, ça l'a heurté comme une tonne de briques, frappé sec comme la droite qui a envoyé Arreola au tapis: il était maintenant champion du monde WBC des poids lourds.

D'un coup, il s'est effondré. Il est resté longtemps à plat ventre, la figure enfouie dans le tapis du ring. «C'est drôle, mais je ne pouvais rien faire d'autre que ça, me laisser tomber comme ça, explique Stiverne. C'était plus fort que moi.»

La ceinture qu'il a remportée est la plus prestigieuse de la boxe. Elle a appartenu à Sonny Liston, à Muhammad Ali, à Mike Tyson, à Evander Holyfield, à Lennox Lewis... Avant d'appartenir à Stiverne, elle appartenait à Vitali Klistchko, qui l'a abandonnée pour devenir la figure de proue de l'opposition en Ukraine.

C'est une ceinture qui a marqué l'histoire autant qu'elle est marquée d'histoires.

Formé à Montréal

Celle de Bermane Stiverne (24-1, 21 K.-O.) commence en Haïti. Il a 10 ans quand ses parents émigrent au Québec. La famille de 14 enfants n'est pas riche.

«Je suis fier du parcours qu'on a eu, ma famille et moi. Ça me rend humble. Ça montre aussi qu'on peut faire quelque chose de grand avec rien, dit-il. Je n'avais rien pour moi et j'ai réussi à accomplir quelque chose de gros.»

Il a 19 ans quand il met les pieds dans un gym de boxe de la rue Saint-Hubert, le Plaza olympique. Ses débuts tardifs dans la boxe - après qu'une blessure à un genou a mis fin à ses espoirs en football - seront retenus contre lui. Plusieurs ont douté de lui au fil du temps.

Puis, à l'âge de 25 ans, il part vivre à Las Vegas dans l'espoir de percer. Sa route vers le titre a été longue et tortueuse. Il a perdu un combat par K.-O. en 2007. Puis même une fois parvenu jusqu'au titre d'aspirant obligatoire, il a dû attendre longtemps un combat de championnat.

Samedi soir, Stiverne n'a pas manqué sa chance: il a passé le K.-O. à Arreola au 6e round. En l'emportant, il est devenu le premier champion poids lourd d'origine haïtienne. Il est aussi devenu le quatrième membre de la communauté haïtienne de Montréal à devenir champion du monde, après Joachim Alcine, Jean Pascal et Adonis Stevenson.

«Dans la vie, j'ai toujours eu besoin d'en faire plus que les autres. Que ce soit à l'école ou dans le sport. Aujourd'hui, je suis champion du monde. Je ne pourrais pas rêver à quelque chose de mieux. C'est le plus beau jour de ma vie!»

Même s'il ne vit plus ici, Stiverne a toujours des liens avec Montréal. Son gérant, Camille Estephan, est montréalais. Ses parents habitent toujours la ville. Il sera d'ailleurs de passage la semaine prochaine pour voir la famille et quelques galas de boxe.

Il est parti d'ici simple aspirant et le voilà qui revient en ville champion du monde. Il aura mis du temps, mais à 35 ans, Bermane Stiverne a enfin écrit sa propre histoire. «Je ne le réalise pas encore», dit-il.