Ce serait facile de critiquer Éric Lucas. De lui dire qu'après quatre ans d'absence, il serait plus avisé de couler des jours heureux auprès de sa douce Marie-Claude et de ses deux filles, pendant que Lucian Bute fait tourner la machine InterBox.

Mais Lucas a envie d'enfiler les gants. Vraiment envie. Ça se voit dans ses yeux bleus. Et ça se sent dans sa voix quand il raconte son cheminement des derniers mois, comme il l'a fait hier après-midi au gymnase d'InterBox, au deuxième sous-sol du centre Claude-Robillard.Après des mois de traitements, sa fille de cinq ans, Mélodie, est maintenant en rémission du cancer qui l'a frappée l'année dernière. «C'est sûr que ce que ma fille a vécu et ce que j'ai vu à l'hôpital avec les autres enfants m'ont inspiré. Mais je ne fais pas ce retour pour ma fille ou pour prouver que je suis encore capable. Je le fais pour moi», a dit l'ancien champion du monde. «J'ai eu la piqûre en me remettant en forme. J'ai eu le goût de continuer, parce que ça me manquait. Je voulais boxer de nouveau.»

Comme La Presse l'annonçait hier, Lucas fera sa rentrée contre l'Argentin Ramon Pedro Moyano, le 11 décembre, en lever de rideau du combat revanche entre Jean Pascal et Adrian Diaconu.

Au cours des dernières semaines, Lucas a fait 24 rounds d'entraînement avec Lucian Bute, qui se prépare pour son propre combat revanche, le 28 novembre, contre Librado Andrade. Ça s'est bien passé. «J'étais content de monter dans le ring avec un champion comme lui. Je me suis revu affronter des champions du monde comme Roy Jones. C'est une belle façon d'évaluer où j'en suis, car Lucian est vraiment intense. Avec lui, il n'y a pas de demi-mesures.»

Personne n'oserait prétendre que le prochain adversaire de Lucas, Moyano, est un titan de l'arène. Avec sept défaites à ses 12 derniers duels et seulement trois combats en huit ans, l'Argentin devrait être une simple formalité pour le Québécois. C'est correct. Après quatre ans d'absence, on ne recommence pas avec un combat de championnat du monde.

Et puis on ne sait jamais. C'est une chose de s'entraîner en gymnase. C'en est une autre de livrer un vrai combat, de composer avec l'adrénaline qui coule dans ses veines quand la foule scande son nom. «Il va être plus nerveux que pour un combat de championnat du monde. Il sait qu'il va être évalué», dit son entraîneur, Stéphan Larouche.

Lucas est conscient de ce qu'il risque en reprenant du service: sa santé, mais surtout sa réputation et le souvenir qu'il laissera aux amateurs de boxe du Québec. «Je vais avoir beaucoup de pression, car cela fait longtemps que je n'ai pas boxé, reconnaît-il. J'ai beaucoup à perdre, car je n'ai pas besoin de faire ça. Je joue gros.»

Larouche était le plus farouche opposant au retour de Lucas. «Je considérais qu'il avait beaucoup à perdre et peu à gagner. Et je m'étais dit qu'il verrait que ce serait trop difficile, qu'il abandonnerait après quelques mois. Mais ça n'a pas été le cas.»

Lucas mène une vie rangée et est dans une forme splendide. Le visage est moins rond qu'autrefois, plus anguleux. Il pèse présentement 183 livres et pense se battre à 175 livres. «Je maintiens un poids constant entre 185 et 190 livres, alors que pendant ma carrière, je pesais 200 à 210 livres avant de partir en camp d'entraînement», souligne-t-il.

Lucas avait songé à faire son retour en Ontario ou dans le nord des États-Unis. Il ne veut surtout pas gonfler artificiellement les attentes du public et ne cache pas sa satisfaction d'être en sous-carte. Il a encore en mémoire sa victoire trop facile contre Tony Menefee, en 2004, lors de son premier combat après sa défaite contre Danny Green. «Le monde était déçu», dit-il.

Sa présence ne nuira pas à la vente des billets, pas mal plus ardue que pour Bute-Andrade II, qui aura lieu à Québec devant 16 500 personnes. InterBox et GYM ont peiné à composer une sous-carte relevée. Des affrontements entre Sébastien Demers et Renan St-Juste ainsi que Jean-François Bergeron et David Cadieux ont tour à tour achoppé.

Mais le plus important n'est pas là. Le plus important, c'est que les amateurs de boxe aient enfin la chance de renouer avec un athlète de grande classe, un gars avec un coeur gros comme ça qui les a fait rêver, jusqu'à devenir champion mondial. «On s'attend à de l'amour, dit Stéphan Larouche. Les gens vont lui en donner une preuve inconditionnelle. Ça a toujours été le cas.» Et c'est bien mérité.