Tout était normal jusqu'à ce qu'elle s'avance dans le portillon de départ. Le dossard 8 était le meilleur numéro qu'elle pouvait espérer pour ce slalom géant. Les entraînements s'étaient bien déroulés. Son épaule ne la faisait pas souffrir. Puis, elle a regardé vers le bas de la piste. À son grand désarroi, elle l'a senti venir. Le doute qui paralyse.

Une cinquantaine de secondes plus tard, Marie-Michèle Gagnon est sortie du parcours dans le mur final, sous la flotte hier matin. Un troisième abandon en trois courses aux Jeux olympiques de Sotchi.

En larmes, elle s'est arrêtée devant la caméra de CBC, puis celle de Radio-Canada. Arrivée devant les journalistes de la presse écrite, elle n'avait plus le goût de parler. L'attaché de l'équipe l'a convaincue de s'arrêter, mais il nous a demandé de garder ça court. Le supplice a duré précisément 1 minute 59 secondes. «En ce moment, le mental n'est pas là», a-t-elle lâché. Ça résumait tout.

Marie-Pier Préfontaine connaît bien cette sensation désagréable. Pendant des années, la skieuse de Saint-Sauveur ne parvenait pas à transposer en course ce qu'elle réussissait à l'entraînement. La nervosité l'étouffait. «Tout de suite en sortant du départ, mes jambes devenaient vraiment dures. Elles devenaient comme mortes. Je n'étais même plus capable de bouger.»

Comme son amie Marie-Michèle, Préfontaine n'a pas terminé le géant d'hier, enfourchant après quelques virages. Cette fois, ce ne sont pas ses nerfs qui l'ont trahie. L'athlète de 25 ans a plutôt attaqué avec un peu trop d'agressivité, en ne se donnant pas le temps de sentir la piste.

Le succès en ski alpin, surtout en slalom géant, repose sur un équilibre délicat. Un mélange entre puissance et finesse, agressivité et douceur. Pour l'obtenir, la confiance est essentielle.

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L'ex-skieuse Geneviève Simard, retraitée depuis 2010, était un modèle en la matière. Dans ses meilleures années, elle bâtissait cet état d'esprit de course en course, ne se posant aucune question. Quand elle arrivait dans le portillon, sa seule intention était de servir une «clinique» de ski alpin. Elle est montée cinq fois sur le podium en Coupe du monde, dont une victoire en super-G.

Un an après sa cinquième place aux JO de Turin, des douleurs à un genou l'ont obligée à subir une opération, qui a entraîné des complications. À son retour, elle s'est néanmoins remise à enchaîner les bonnes manches à l'entraînement. Mais le déclic ne se produisait pas en course.

«Je me remettais en question, raconte celle qui agit à titre d'analyste pour la SRC à Sotchi. Ce n'est vraiment pas la recette gagnante. Je devenais super raide, je ne bougeais pas, je laissais le parcours me mener jusqu'en bas. C'était pénible. J'étais dure envers moi-même. J'avais peur de mal paraître. C'était autodestructeur, mon affaire.»

Simard s'en est sortie, en partie, quand elle a choisi de lâcher prise. Gagnon n'est évidemment pas dans la même situation. Mais les événements des dernières semaines l'ont plongée dans une spirale dont elle devra s'extirper avant l'épreuve de slalom, sa spécialité, vendredi.

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À ses premiers JO, à Vancouver, Gagnon était une coureuse anonyme. Quatre ans plus tard, les attentes sont différentes. La skieuse de 25 ans occupe le 4e rang au classement du slalom et revendique 9 résultats parmi les 10 premières, dont un premier podium en Coupe du monde, une victoire au super-combiné d'Altenmarkt, le mois dernier.

On ne parle pas d'Erik Guay, mais son statut a changé. «On a vu dans les premiers jours que ce n'était pas facile de gérer tout ça, a reconnu l'entraîneur-chef de l'équipe féminine, Hugues Ansermoz. Durant les Coupes du monde, l'environnement est toujours le même. Tout à coup, aux Jeux olympiques, il y a tous ces gens qui parlaient autour d'elle. C'est assez fatigant mentalement. On essaie de se préparer, mais il y a eu cette chute et cette blessure au super-combiné. Ça a un peu cassé tous nos plans.»

Rétablie de sa dislocation à l'épaule gauche, Gagnon s'est inscrite au super-G. Elle est sortie du parcours au quatrième virage. En comptant le géant de Kranjska Gora, dernière fin de semaine avant les JO, cela faisait trois abandons consécutifs.

Geneviève Simard a été surprise d'apprendre que Gagnon s'engageait sur le super-G plutôt que de se consacrer entièrement à la préparation du géant, comme elle l'avait d'abord indiqué. Compte tenu de son horaire chargé - elle s'est présentée dans les quatre disciplines cet hiver -, la skieuse de Lac-Etchemin avait eu peu de temps pour s'entraîner en géant.

«Il faut pouvoir se dire: je suis capable, je suis prête, mais mes priorités, ce sont vraiment les épreuves techniques, a expliqué Simard. C'est là-dedans que Marie-Michèle brille depuis des années. Je comprends, c'est les Jeux olympiques, ce sont des choix déchirants. Mais des fois, il faut qu'on les fasse.»

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La bonne nouvelle est que Gagnon dispose de deux journées complètes pour renverser la tendance avant le slalom de vendredi. «C'est sûr qu'on n'arrive pas dans cette course dans l'état d'esprit espéré, a constaté Ansermoz. Ce sera notre travail, à nous les coachs, d'aider Marie-Michèle à se concentrer sur les points importants pour qu'elle en arrive à ne penser qu'à son ski.»

Simard l'en croit capable. «Elle est tellement forte de caractère. Il faut qu'elle se fasse confiance», dit celle qui a été la coéquipière de Gagnon pendant trois ans.

Marie-Pier Préfontaine, qui a réglé ses ennuis de nervosité en travaillant avec un psychologue sportif, s'attend aussi à la voir montrer son véritable caractère. «Je suis sûre qu'elle va être correcte. Marie-Michèle, c'est comme le feu!»

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Que peut faire le psy?

Selon Nicolas Lemyre, il n'y a «aucune limite» à ce qu'un psychologue sportif peut accomplir avec un athlète en difficulté.

«Il faut juste avoir travaillé assez longtemps avec l'athlète pour avoir le bagage suffisant pour y arriver dans une situation extrême comme les Jeux olympiques, où il y a beaucoup de pression et de fatigue, ce qui brûle beaucoup d'énergie», a jugé le Québécois, qui agit à Sotchi à titre de psychologue sportif des équipes de biathlon féminin et de ski de fond masculin de la Norvège.

Après sa sortie de piste au super-G, Marie-Michèle Gagnon devait s'asseoir avec son psychologue sportif, qui la suit aussi durant l'été à Canmore.

«Si elle a un psychologue sportif doué et qui a beaucoup d'expérience avec elle, il peut travailler de façon à ce qu'elle réagisse comme une machine», a affirmé Lemyre, citant l'exemple de Joannie Rochette à Vancouver et de la biathlonienne norvégienne Astrid Uhrenholdt Jacobsen, qui a appris le suicide de son frère le jour de la cérémonie d'ouverture à Sotchi.

«Ces athlètes ont été capables de se concentrer sur ce qu'elles avaient à accomplir et de bloquer les éléments extérieurs, a dit le psychologue. Plus on investit dans le travail psychologique, plus on en retire dans une situation comme ça.»