Les Jeux olympiques de Sotchi ne sont pas encore terminés qu'Alex Harvey a fait son bilan: un échec sur toute la ligne. Pas facile à accepter pour un athlète qui, systématiquement, a toujours trouvé une façon de briller dans les grands événements.

Après deux courses gaspillées par le fartage et une autre où il n'avait tout simplement pas le niveau pour lutter avec les meilleurs, le fondeur de Saint-Ferréol-les-Neiges a touché le fond du baril au sprint classique par équipes, mercredi après-midi, au centre de ski de fond Laura. Champion du monde de la spécialité en 2011, le tandem Harvey et Devon Kershaw a été relégué à un rôle de figurant, son parcours s'arrêtant dès la demi-finale - ce qui lui a valu d'être classé 12e.

La gifle est difficile à encaisser. «Dans les quatre dernières années, c'est la journée à laquelle je pensais le plus. J'y pensais tous les jours. C'est une déception», a dit Harvey d'un ton résigné.

Cette fois, l'équipement n'est pas en cause. Plutôt la forme des coureurs. Kershaw, en particulier, en a arraché, au point où il a dû compléter la dernière montée en «canard». «La piste est vraiment extrême, c'était dur, j'étais trop fatigué, je ne pouvais pas pousser sur mes skis», a dit en soupirant le vétéran de 31 ans.

Enrhumé, Kershaw a dû attendre jusqu'au matin pour obtenir la confirmation qu'il prendrait le départ. La Dre Mireille Belzile, mère d'Alex Harvey et médecin de l'équipe, lui a donné le feu vert après un examen. L'athlète de Canmore sentait aussi l'énergie revenir après quatre jours au lit. De toute façon, Len Valjas, le remplaçant potentiel, représentait lui aussi un point d'interrogation.

«Mon coeur voulait tout donner, mais les jambes n'étaient pas là», a dit Kershaw, presque en s'excusant.

Relégué à l'arrière du groupe dès le premier relais, mené à un train soutenu par le Suisse Dario Cologna, Kershaw a obligé son partenaire à produire un effort significatif dès la première montée. Harvey ne s'en est jamais vraiment remis.

L'élastique a définitivement cassé dans le troisième et dernier relais, les Canadiens cédant plus de 30 secondes aux premiers.

Alors, la faute à Kershaw? «Moi aussi, à l'évidence, je n'étais pas assez fort, l'a défendu Harvey. Si j'étais un superhéros aujourd'hui, je serais remonté. Les deux, collectivement, on n'était pas assez forts.»

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Les compétitions de ski de fond se terminent dimanche avec la présentation du traditionnel 50 km style libre. Harvey y participera, mais le coeur n'y est plus. «C'est sûr que je vais finir les Jeux, mais ça va être un 20 jours à mettre dans la poubelle. Jusqu'à présent, j'ai un plus beau souvenir de Vancouver que de Sotchi, pour l'expérience sportive, en tout cas.»

Trois fois parmi les 10 premiers aux Jeux de Vancouver, dont quatrième au sprint par équipes, Harvey avait poursuivi sur sa lancée avec le titre mondial à Oslo, 11 podiums de Coupe du monde, dont 3 victoires, et une médaille de bronze au sprint individuel aux derniers Championnats du monde, à Val di Fiemme.

De l'avis de ses entraîneurs et coéquipiers, il tenait la forme de sa vie en arrivant à Sotchi.

«Des fois, le monde dit qu'on va apprendre de ça, a dit en soupirant le fondeur de 25 ans. Il n'y a pas grand-chose à apprendre. À Vancouver, j'étais là pour apprendre. À mes premiers Championnats du monde, j'étais là pour apprendre. Mais là, je sais quoi faire pour gagner. Ça ne s'est pas passé ici, mais il n'y a pas grand-chose à apprendre de ces deux dernières semaines-là.»

Le reste de la saison? Bof. «J'ai quasiment plus hâte de recommencer la saison d'entraînement pour l'an prochain.»

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Les deux entraîneurs de l'équipe canadienne sont ensuite passés au confessionnal médiatique. Louis Bouchard, l'entraîneur personnel d'Harvey, s'est fait philosophe au sujet de cette «déception complète» à Sotchi. Il a reconnu que le Canada avait encore du travail à faire sur le plan de la préparation des skis, un problème qui avait également ennuyé l'équipe à Val di Fiemme, il y a un an.

«On était émotifs un peu au début, a souligné Bouchard. Les Jeux olympiques, c'est gros pour nous. Le but, c'est vraiment les médailles. Quand on ne les a pas, on est déçus. Mais on fait du sport aussi. On n'est pas en train de changer la vie de tout le monde. Il faut revenir sur terre.»

Justin Wadsworth, lui, aura besoin d'un peu de temps pour évacuer cette «pire sensation» depuis qu'il est entraîneur-chef de l'équipe canadienne. Un collègue lui a demandé sa part de responsabilité dans cette déconfiture. «Je la prends toute, a répondu l'Américain. Ce n'est pas un job le fun en ce moment.» Ses yeux étaient cachés par des lunettes fumées, mais on a senti sa gorge se nouer. «Sorry, Canada!», a-t-il lancé en tournant les talons.

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Avant de s'envoler pour Sotchi, Pierre Harvey pensait constamment à la possibilité que les choses ne tournent pas comme son fils le souhaitait. Le sport de haut niveau est un univers ultra-compétitif, mais jamais autant qu'aux JO.

«Il y a peut-être 40 gars qui ont gagné une Coupe du monde dans les quatre dernières années», a rappelé l'ancien athlète, qui commente les courses pour Radio-Canada. Ces 40 gars-là, ils se disent tous: si je suis chanceux, si je "peake" au bon moment, je peux gagner une médaille olympique. Regarde Erik Guay: il était super hot, tout le monde croisait les doigts. Des Erik Guay et des Alex Harvey, il y en a 50 dans le monde dans chacun de ces sports-là. Il y en a juste un qui va être chanceux.»

Que reste-t-il à faire? «On va pleurer pendant trois jours... puis on va recommencer!»