Il fallait voir le visage abattu de Devon Kershaw dans la zone d'entrevues. En fait, on ne le voyait pas. Lunettes encore sur le nez, l'Ontarien fixait le sol, découragé par sa première course aux Jeux olympiques de Sotchi. Il a répondu à une seule question sans jamais relever la tête.

Que pouvait-il dire? Cinquante-sixième des qualifications du sprint individuel en style libre, à plus de 15 secondes du premier, mardi après-midi. Derrière un Danois et un Australien. Dure déroute pour l'ancien champion mondial, ex-numéro deux au classement de la Coupe du monde et trois fois parmi les dix premiers aux Jeux de Vancouver.

«Je n'avais pas de vitesse aujourd'hui (mardi). C'était complètement merdique. Excusez le langage, mais quand c'est comme ça, c'est vrai», a-t-il lâché, carrément dégoûté, dans son français de Sudbury.

Alex Harvey était passé quelques minutes plus tôt, le pas léger, satisfait de sa 18e place en qualifications. Dans cette neige printanière, les skis répondaient, contrairement à ce qui s'était passé au skiathlon deux jours plus tôt. Et la forme y était.

Deux heures plus tard, il a quand même été arrêté dès les quarts de finale. Quatrième de sa vague, il n'a pas été capable de suivre l'accélération des Russes au sommet de la deuxième et ultime montée, quand il a fallu se mettre en pas déphasé, une technique qui lui cause des ennuis. «C'est un peu ma bête noire», a expliqué Harvey, finalement classé 19e de cette course remportée haut la main par le Norvégien Ola Vigen Hattestad.

Un peu déçu, oui, mais loin d'être abattu. Le médaillé de bronze des derniers Mondiaux ne se considère pas comme un sprinter pur. Pour s'illustrer dans cette spécialité à haut risque, tous les morceaux doivent tomber en place. Ce ne fut pas le cas mardi. «Je n'étais juste pas assez fort. Les deux Russes étaient vraiment plus vites que moi. C'est fair game», a constaté le fondeur de 25 ans.

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Le skiathlon (18e) et le sprint terminés, Harvey voit s'envoler ce qu'il estimait être ses deux principales chances de podium individuel à Sotchi. «Celles-là sont passées, mais la meilleure chance de toutes, ça reste le sprint par équipes», a-t-il affirmé en se tournant vers l'épreuve présentée mercredi prochain.

Et le fondeur de Saint-Ferréol-les-Neiges a rappelé ses résultats passés dans la discipline: quatrième à Vancouver, médaillé d'or aux Mondiaux de 2011, alors qu'il avait devancé Hattestad en classique, quatrième encore l'an dernier aux Championnats du monde de Val di Fiemme. Chaque fois avec Kershaw.

«C'était sa première course, je pense qu'il était très stressé ce matin (mardi), a dit Harvey au sujet de son grand ami. La première course aux Jeux olympiques, des fois, tu passes à côté. Je pense qu'il va rebondir.»

Serait-il possible que Len Valjas prenne la place de Kershaw? Mis à l'écart de l'équipe en raison d'un fort rhume qui l'a gardé au lit pendant trois jours, le grand Torontois a causé une certaine surprise en enregistrant le 36e temps des qualifications. «Pour un gars qui a été malade, il s'en est bien sorti», a admis Louis Bouchard, entraîneur d'Alex Harvey, qui a aussi dirigé Valjas pendant cinq ans. «Ça démontre son talent. C'est sûr qu'il y a lieu d'avoir une discussion pour mettre Lenny sur le relais.»

Libéré des douleurs au genou gauche qui le poursuivaient depuis une opération l'été dernier, le principal intéressé ne semblait pas chaud à l'idée. «C'est la meilleure course de Devon, a souligné Valjas. Ce n'est pas grave si les autres courses ne se sont pas bien déroulées pour lui. Il peut bien faire dans celle-là.»

La décision revient aux entraîneurs, mais Harvey estime que Kershaw devrait être sélectionné. «Le sprint par équipes, ça demande de l'endurance aussi. C'est vraiment ce que Lenny a beaucoup perdu cette année.»

Chose certaine, la méforme mystérieuse de Kershaw, qui dure pratiquement depuis deux ans, a entraîné une conséquence directe pour Harvey: il a choisi de disputer le 15 km classique de vendredi. «En ce moment, tu ne peux pas tout miser sur le sprint par équipes», a résumé Louis Bouchard.

Ces courses de distance avec départ individuel ne sont pas traditionnellement la spécialité du fondeur québécois. Mais il vient d'obtenir le meilleur résultat de sa carrière dans cette épreuve, une cinquième place à Toblach il y a moins de deux semaines. «Avec les sensations qu'Alex a depuis un mois, ça va arriver à un moment donné», a dit Bouchard... en espérant que ça se passe à Sotchi.