C'est bien connu, chaque séisme important est suivi d'une succession de répliques. Après l'humiliation subie devant l'Allemagne, la qualification de l'Argentine pour la finale a ainsi été reçue comme une autre gifle au visage par le Brésil.

Alors que sa Seleção n'a plus que la troisième place en vue, le rival argentin, lui, peut prétendre aux grands honneurs dans le symbolique Maracanã où Pelé avait inscrit son 1000e but. Entre le gentil bourreau germanique et l'ennemi juré sud-américain, le choix est vite fait pour le peuple auriverde, même s'il s'en trouve quelques-uns pour invoquer la solidarité continentale.

«Si on gagnait ici au Brésil, ce pourrait être historique, voire traumatisant pour les Brésiliens, confirme le partisan argentin Juan Marcos Chiramberro. Mais je crois qu'avec la croissance du projet d'unité latino-américaine, les mentalités changent tranquillement et que bon nombre d'entre eux veulent que la Coupe ne retraverse pas l'océan.»

Est-il trop optimiste quand il s'attend à ce que ses voisins appuient l'Argentine, dimanche? Le journaliste brésilien Fernando Duarte a sans doute mieux résumé la situation en écrivant que son pays «formait une nation de 200 millions d'Allemands».

Car cette rivalité argentino-brésilienne est l'une des plus féroces du soccer mondial. Depuis le premier duel officiel, en 1914, et surtout à partir des années 50, les deux puissances ont forgé leur inimitié au rythme des matchs de Copa America, de Copa Libertadores (en clubs), de qualifications et, bien entendu, de Coupe du monde. En phase finale, leur dernier rendez-vous, en 1990, avait tourné au profit de l'Albiceleste menée par Diego Maradona et Claudio Caniggia.

Depuis que le Brésil sait qu'il organisera la compétition, la plus grande crainte était d'ailleurs de revivre un tel scénario. «Si l'Argentine bat le Brésil, en finale, je me tue, avait lancé le maire de Rio de Janeiro, Eduardo Paes, l'an dernier. Ils ont Messi et le pape, ils ne peuvent pas tout avoir.»

Ce rendez-vous n'aura finalement pas lieu, mais la rivalité, elle, ne s'est pas interrompue au cours du dernier mois. Une célèbre compagnie de bière a, par exemple, de nouveau exploité ce filon à des fins publicitaires: un groupe d'Argentins est invité à une fête par des Brésiliens avant d'être renvoyé, au moyen d'un canon, à Buenos Aires. Une rengaine populaire rappelle également le passé de «sniffeur de cocaïne» de Maradona. La réplique adverse? On a bien vu un petit groupe de partisans argentins danser avec une colonne vertébrale en plastique après la blessure de Neymar. Mais on a surtout entendu chanter «Brésil, dis-moi ce que ça te fait d'avoir ton papa à la maison».

Plus de 120 000 Argentins ont fait le court déplacement jusqu'au Brésil. Ils ne passent d'ailleurs pas inaperçus dans les rues de Rio de Janeiro, même si la forte pluie a quelque peu tempéré leurs ardeurs, hier.

Une revanche

En conférence de presse, un journaliste brésilien a demandé à Alejandro Sabella si ses hommes avaient atteint la finale «de peur d'affronter le Brésil pour la troisième place». Il y a évidemment une bonne part de provocation dans cette question, même si cela témoigne de la relation bilatérale tendue et compliquée, en soccer. En toile de fond, on n'a pas fini de débattre qui, de Pelé et de Maradona, est le meilleur joueur, de part et d'autre des chutes d'Iguazú.

Pour autant, la page est temporairement tournée du côté de l'Argentine, qui espère maintenant décrocher une troisième étoile après les titres de 1978 et 1986. Se dresse devant lui un autre rival bien connu qui l'avait éliminé, en 2006, avant de lui servir toute une correction (4 à 0), quatre ans plus tard.

«L'Allemagne a beau exceller sur les plans tactique et technique, il lui manque la passion qui caractérise le joueur argentin, analyse Chiramberro. Elle ne nous fait pas peur, car c'est aussi une revanche sportive importante après la finale de 1990 qu'ils nous ont volée (à la faveur d'un penalty décisif douteux). La vie nous donne ce cadeau et nous allons en profiter.»

Et célébrer dans les rues de Rio transformées en marée bleu et blanc. Plus qu'une claque, le cauchemar brésilien en quelque sorte...