«Ils sont obligés de gagner», affirme Ana Carmo, vendeuse de journaux à Sao Paulo, à propos de l'équipe nationale du Brésil dont tout le peuple attend une victoire au Mondial qui se disputera dans une ambiance sociale tendue.

Portant une écharpe jaune et verte, Ana Carmo, 35 ans, a couronné son kiosque d'un énorme drapeau brésilien.

Les Brésiliens s'attendent à gagner la Coupe du monde tous les quatre ans, mais avec l'organisation de ce Mondial à la maison au pays du «beau jeu» (jogo bonito), les 200 millions d'habitants attendent le «Hexa» (sixième titre).

La pression est d'autant plus grande sur les épaules de la star Neymar et de ses 22 coéquipiers que la situation du pays et le moral sont moroses. Jadis cité comme exemple de pays émergent, le Brésil est en proie aux doutes quant à l'état réel de son économie avec une grande majorité de la population qui vit dans la pauvreté, les problèmes de logements et des carences dans les secteurs de l'éducation, des transports en commun ou de la santé.

De nombreux Brésiliens se demandent si les 11 milliards de dollars dépensés pour accueillir le Mondial ne font pas défaut et n'auraient pas été mieux investis dans d'autres secteurs.

Un sondage montre que si 68% des Brésiliens croient que la Seleçao va soulever le trophée, plus de la moitié (54%) estiment que la compétition va faire plus de mal que de bien au pays.

La situation sociale est tendue et mardi les employés du métro de Rio ont annulé un préavis de grève après avoir obtenu une augmentation de 8% portant leur salaire à 386 dollars par mois. À Sao Paulo, où a lieu le match d'ouverture jeudi, les employés du métro ont suspendu leur mouvement mais ont menacé de le reprendre si 42 employés licenciés n'étaient pas réintégrés.

Dictature et Mondial 1970

«L'équipe du Brésil doit faire face à une pression beaucoup plus grande que si le pays était calme», souligne Marcos Guterman, auteur du livre Le football explique le Brésil.

«Avec tous ces problèmes, ils (joueurs) ont une pression double. Le moral et l'état d'esprit du supporteur brésilien dépend des résultats de l'équipe», poursuit-il.

L'enjeu est de taille pour la présidente Dilma Rousseff qui a succédé à Inacio Lula da Silva en 2011, quatre ans après l'euphorie de l'attribution du Mondial au Brésil.

En cas de contreperformance de la seleçao, elle pourrait faire face à une nation en colère à quelques mois de a présidentielle d'octobre. La présidente a répété maintes et maintes fois que les investissements consentis étaient bénéfiques et doteraient le pays en infrastructures pour des années et le bien de tous. Toutefois beaucoup de projets ont pris du retard ou ont coûté beaucoup plus cher que prévu.

«Soccer et politique sont très liés pour ce Mondial», considère l'universitaire Jose Paulo Florenzano. «Tout peut arriver. Une bonne performance de la seleçao peut réveiller l'esprit patriotique et éteindre la contestation. À l'inverse, une élimination peut provoquer une vague de manifestations».

En 1970, la dictature militaire avait surfé sur la victoire de Pelé et des siens au Mexique pour faire oublier la situation du pays, rappelle Pablo Azevedo, un expert en management sportif. Les militaires avaient compris l'importance du football et après la déception du Mondial 1966, ils avaient financé comme jamais auparavant la préparation de l'équipe nationale, embauchant entraîneurs et docteurs, payant des stages en altitude à une époque où le soccer n'avait pas encore atteint ce niveau de professionnalisme.

«Le Brésil a ensuite fêté sa victoire pendant plus d'un an!» conclut-il.

Toutefois, pour de nombreux observateurs, la présidente brésilienne peut au mieux espérer qu'un court répit en cas de victoire finale.

«Il pourrait y avoir une trêve de quelques jours voire semaines. Mais la réalité est bien là. Il y a une tension sociale et économique», estime M. Guterman.

Dans son kiosque, Ana Carmo se veut optimiste: «Une victoire offrirait de la joie dans le coeur des Brésiliens et ils pourraient oublier un peu leurs problèmes».