À leur apogée, les hooligans russes se prenaient pour des dieux.

«Nous sommes au sommet du mont Olympe actuellement et ça devait être fait, décrit un vétéran hooligan de Moscou de sa participation aux échauffourées contre des partisans anglais lors de l'Euro 2016, à Marseille. Nous voulions les Anglais, qui étaient les rois, pour leur prendre leur trône.»

À moins d'un mois de la Coupe du monde de football en Russie, les autorités s'affairent à nettoyer cette culture du hooliganisme. Des groupes qui ont causé des ravages il y a deux ans rapportent maintenant être sous surveillance, voire menacés par les autorités policières.

«Tous nos dirigeants sont interrogés, a déclaré ce hooligan de Moscou - costaud, avec des cicatrices aux jointures - à l'Associated Press. On nous a fait comprendre que s'il y avait des problèmes, ceux qui les causeront seront emprisonnés et que nous irons les rejoindre. On nous a clairement fait comprendre qu'il fallait que tout se passe sans heurt.»

Pour cet interlocuteur, le hooliganisme en Russie «est terminé». Les dirigeants des différents groupes risquent de sévères peines de prison - même pour des infractions antérieures - s'il y a du grabuge pendant le Mondial. À tel point que certains d'entre eux songent à quitter le pays pendant le tournoi, afin de prouver à l'aide de leur passeport qu'ils ne pouvaient pas être impliqués.

La source de l'Associated Press, qui a requis l'anonymat afin de décrire plusieurs gestes criminels, dit s'être rendu à Marseille en 2016 spécifiquement pour prendre part à des bagarres face à des partisans anglais. Les hooligans anglais des années 1980 et 1990 ont largement inspiré les groupes russes, dont plusieurs portent des noms anglophones.

Les Russes voulaient s'en prendre à la réputation des Anglais à Marseille.

«Pendant plusieurs années, les Anglais étaient considérés comme étant les plus forts», a-t-il dit. Mais ils n'étaient pas de taille pour les hooligans russes, adeptes des arts martiaux mixtes.

«Il y avait des gars assis avec une bannière de Birmingham. Nous sommes allés vers eux et leur avons dit: "Soit on prend votre bannière, soit vous vous battez pour la garder". Les gars ont décidé qu'ils n'avaient pas tant que ça besoin de cette bannière.»

À l'époque, les incidents violents de Marseille avaient fait sourire certains législateurs russes, dont certains avaient même encensé les hooligans. Le président Vladmir Poutine avait déclaré que ces bagarres étaient «tristes», avant de demander «comment 200 Russes avaient pu battre plusieurs milliers d'Anglais», ce qui avait bien fait rire la galerie.

La Russie compte pourtant sur une liste de partisans bannis des matchs par les tribunaux, que ce soit pour des gestes violents ou non. Mais à 451 noms, c'est la plus courte des grands pays européens.

Plusieurs autres partisans sont bannis des stades par des moyens qui ne sont pas toujours officiellement consignés et qui offrent peu de recours.

Les billets pour la prochaine Coupe du monde ne valent rien s'ils ne sont pas accompagnés du «Fan ID», émis par le gouvernement russe. On doit en faire la demande auprès des autorités russes, qui ont refusé de l'émettre à des milliers de partisans en vue de la Coupe du monde, même de la Coupe des Confédérations de l'an dernier, selon Oleg Semyonov, l'ex-leader des partisans du Spartak de Moscou, qui dirige maintenant une firme d'assistance juridique pour les partisans.

Semyonov affirme que les autorités russes se servent d'une «énorme base de données» pour exclure des gens qui ont été accusés de méfaits lors d'événements de football, mais également pour des condamnations datant jusqu'à 20 ans pour des infractions mineures comme de traverser la rue sur un feu rouge ou état d'ébriété dans des lieux publics.

La police russe et le Service fédéral de sécurité n'ont pas répondu aux demandes d'entrevues.

«Ce que je prévois, c'est qui s'il y a des bagarres, elles seront provoquées sous le coup de l'émotion, elles seront localisées et rapidement maîtrisées. Elles ne seront pas mises en scène à l'avance et n'atteindront pas la taille de celles de Marseille, a déclaré un autre hooligan russe, qui a souligné que la police russe pouvait faire face à des protestations violentes. Les partisans de football ne sont pas des protestants ordinaires, ils sont plus actifs. Mais la police s'est entraînée ferme pour ce Mondial au cours des deux dernières années.»

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Naira Davlashyan, à Moscou, et Samuel Pétrequin, à Paris, ont contribué à cet article.