Les parents ignorent l'ampleur de l'intimidation qui sévit sur les terrains de soccer du Québec. Ils ont tendance à la sous-estimer, contrairement à leurs propres enfants qui la vivent lors des matchs.

Voilà ce qui ressort d'une enquête menée par quatre chercheurs québécois sur le sport le plus populaire au Québec. L'étude indique également que, selon les entraîneurs et les arbitres, les parents mettent trop de pression pour que les enfants gagnent leurs matchs.

Martin Gendron, professeur à l'Université du Québec à Rimouski et chercheur principal de l'étude, se dit amateur de soccer et espère que ses recherches serviront à améliorer l'environnement dans lequel ce sport est pratiqué au Québec.

«C'est un sport qui peut paraître plus inoffensif que le hockey, explique le psychopédagogue en entrevue. Est-ce qu'il y a un problème? Ce que l'on sait, c'est qu'il y a présence de violence, d'intimidation, d'agression au soccer. L'intimidation verbale est la plus présente.»

Pour arriver à cette conclusion, l'Enquête sur la participation dans le soccer amateur a permis d'interroger 1395 joueurs de 11 à 17 ans, 1130 parents, 557 entraîneurs et 96 arbitres. Les résultats ont été présentés hier au congrès de l'ACFAS.

La grande majorité des jeunes joueurs de soccer (91%) disent avoir été témoins, dans les 12 derniers mois, de moquerie ou de sarcasme; 89% d'entre eux disent avoir entendu des insultes et 64%, des menaces.

Ils sont 90% à avoir été témoins de bousculade volontaire, et 65% ont vu un jeune joueur feindre d'en frapper un autre. Près de quatre jeunes sur dix (38%) ont par ailleurs entendu des propos racistes.

Les enfants ne fabulent pas. Les arbitres interrogés par les chercheurs rapportent tous avoir constaté ces gestes, dans des proportions légèrement plus élevées que les jeunes. Ils sont par exemple 97% à avoir été témoins de moquerie ou de sarcasme, et 89% ont vu un geste impoli ou menaçant.

À l'opposé, les parents des enfants et les entraîneurs se disent moins souvent confrontés à ces épisodes d'intimidation. Par exemple, alors que 64% des jeunes ont entendu des menaces dans la dernière année, «seulement» 49% des parents en disent autant.

«On observe que les gens sur le terrain, soit les joueurs et les arbitres, rapportent des taux d'incidence beaucoup plus élevés que ceux en périphérie du jeu, les entraîneurs et les parents, note Martin Gendron. Dans certains cas, ça va du simple au double.»

«C'est certain que les insultes et les menaces, il faut être sur le terrain pour les entendre. Mais on constate cette différence même sur des choses visibles, comme les tacles dangereux», dit-il.

La pression des parents

Le chercheur pense que ces chiffres devraient «susciter une réflexion». Il s'intéresse depuis une décennie à la violence au soccer. Il a notamment eu le soutien de la Fédération québécoise pour mener ses enquêtes dans le passé.

Le soccer québécois ne veut pas suivre la route du hockey, dont l'image a été minée par les épisodes de violence dans les années 90. Tout comme au hockey, le nombre de participants stagne au soccer. Le sport a connu des années fastes au Québec entre 1980 et 2008, alors que le nombre de joueurs a été multiplié par cinq, pour frôler les 200 000. Mais depuis, le sport se maintient.

Ce que l'Enquête sur la participation dans le soccer amateur révèle également, c'est que la raison la plus communément citée par les enfants, les parents, les arbitres et les entraîneurs pour expliquer qu'un jeune abandonne le sport, c'est la présence de comportements antisportifs. C'est le facteur cité en deuxième par les adultes et les jeunes.

Du côté de la Fédération de soccer du Québec, on se dit conscient du problème. Cette saison a d'ailleurs été baptisée «année du fair-play» par Soccer Québec. «Des messages-chocs ont été installés sur tous les terrains du Québec, explique le directeur technique de la Fédération, Éric Leroy. Par exemple, l'un d'entre eux dit: "L'arbitre est un être humain".»

«Les valeurs de la fédération, c'est que le soccer est un sport pour tous et toutes. C'est un sport dont les règles interdisent tout contact, et le rôle des éducateurs - on ne les appelle plus des entraîneurs - est de développer des individus avec des valeurs citoyennes», poursuit M. Leroy.

L'étude dévoilée hier contient un autre fait d'intérêt: selon les entraîneurs et les arbitres consultés, les parents mettent trop de pression autour des performances de l'équipe. Selon eux, c'est d'ailleurs le facteur le plus à même de mener au décrochage sportif des jeunes, juste devant les comportements antisportifs.

La Fédération explique faire des efforts pour améliorer l'ambiance sur ses terrains. «On veut se démarquer comme un sport d'intégration et de partage. On veut surtout développer des citoyens, dit Éric Leroy. L'essence du jeu n'est pas de taper l'adversaire, mais bien de jouer.»

Mais, du même souffle, il note qu'un sport ne peut exister en vase clos. «On vit dans une société où le respect n'est pas toujours au rendez-vous, dit-il. Il faudrait donc un miracle pour que les gestes irrespectueux disparaissent complètement sur le terrain. On va continuer de prôner le respect. Mais la personne qui peut influencer le jeune à l'extérieur du terrain, c'est le parent.»