«Seules trois personnes ont fait taire le Maracana: Frank Sinatra, le pape, et moi!»: Alcides Ghiggia est décédé dans la nuit de jeudi à vendredi, 65 ans jour pour jour après avoir offert le titre de champion du monde à l'Uruguay au détriment du Brésil chez lui.

À 88 ans, le dernier survivant des deux sélections qui ont disputé ce mythique «Maracanazo» de 1950 est mort d'une crise cardiaque.

Le président de l'Uruguay, Tabaré Vazquez, a décrété trois jours de deuil officiel pour ce héros national.

La Confédération brésilienne (CBF) a rendu hommage à son bourreau. «Ghiggia s'est distingué par son engagement sur le terrain et son extrême respect pour la tristesse du peuple brésilien après la défaite de 1950, a-t-elle écrit dans un communiqué. Aujourd'hui, le football du monde entier pleure son départ. Repose en paix.»

«Très attristé par la perte d'Alcides Ghiggia, un vrai héros. Mes respects à sa famille et au football uruguayen», a tweeté pour sa part le président démissionnaire de la FIFA, Joseph Blatter.

C'est un monument de l'histoire du foot qui s'est éteint. Ghiggia n'était pas un joueur exceptionnel, à la Pelé ou Maradona, mais l'ailier droit a signé un exploit devenu légendaire.

«Ce grand silence»

Le 16 juillet 1950, à Rio de Janeiro, le Brésil plonge dans une tragédie nationale: Ghiggia inscrit le but décisif sacrant la Celeste championne du monde, devant quelque 200 000 spectateurs pétrifiés.

Ce jour-là, dans son Maracana flambant neuf, le Brésil affronte l'Uruguay pour l'ultime match de la phase finale du tournoi. Afin d'être sacrés pour la première fois de leur histoire, les Auriverdes et leur vedette Zizinho, grands favoris, n'ont besoin que d'un nul, alors que la victoire est indispensable aux Charruas pour un deuxième titre (après 1930).

Le Brésil ouvre le score (Friaça, 47e), mais Juan Schiaffino égalise (66e), sur un centre de Ghiggia. A la 79e minute, ce dernier accélère sur son aile et marque d'une frappe excentrée du droit au premier poteau. 2-1, score final.

«Il y a eu ce grand silence, c'était très étonnant, a confié Ghiggia à l'AFP en avril 2014. Après la fin du match, nous, les Uruguayens, ressentions de la joie. Il y avait ce silence dans le stade et des gens qui pleuraient».

Ce but marqué à 23 ans et qui allait changer sa vie: «je n'ai pris conscience de son impact que quelques années plus tard, quand on a commencé à écrire des livres sur le sujet, qu'on m'interrogeait dessus».

Ghiggia est le grand héros du «Maracanazo», avec son capitaine Obdulio Varela, tandis que Moacyr Barbosa, le gardien brésilien, en sera le grand maudit, avec l'arrière gauche Bigode, déposé par Ghiggia sur les deux buts uruguayens.

Les pleurs du père de Pelé

Au Brésil, l'hébétude du Maracana allait ouvrir «la décennie du silence», jusqu'au sacre de 1958 sous l'impulsion de Pelé. Le «Roi» avait décidé de devenir footballeur et champion du monde en voyant son père pleurer le jour de la tragédie.

L'Uruguay attendra soixante ans pour revenir au premier plan dans un Mondial (demi-finaliste en Afrique du Sud en 2010).

Ghiggia, petit moustachu frêle et véloce, connaîtra une belle carrière. Né le 22 décembre 1926, il débute à Peñarol, l'un des deux grands clubs en Uruguay, et remporte le championnat en 1949 et 1951.

Grâce au «Maracanazo», il devient l'un des rares Sud-Américains à évoluer en Europe, à l'AS Rome puis brièvement à l'AC Milan. Il jouera aussi pour l'équipe d'Italie.

L'ailier droit retourne en Uruguay, au Danubio, avant de prendre sa retraite à 42 ans et d'être invité, inlassablement, à raconter le «Maracanazo», lui le héros.

«Un héros, non, je suis un de ceux qui ont joué; on ne joue pas seul mais à onze», avait-il dit en avril 2014. Mais son glorieux but, «c'est un très beau souvenir parce que j'ai fait quelque chose pour mon pays».