Fils de président, joueur, entraîneur, assistant, directeur de l'Académie... Dès sa plus tendre enfance, Philippe Eullaffroy a suivi la voie du soccer pour l'explorer dans toutes ses facettes en France et au Québec. Son nouveau défi le conduit à la tête du FC Montréal, la filiale de l'Impact dans la USL Pro, soit le troisième échelon nord-américain. Une nomination qui sonnait comme une évidence pour l'homme aux multiples casquettes.

Le joueur

Eullaffroy est tombé dans la marmite du soccer dès son plus jeune âge. Parce que son père a été joueur, puis président du Troyes Aube Football (TAF) pendant une dizaine d'années, le jeune garçon a passé sa jeunesse aux abords des stades.

«J'ai fait mon premier entraînement avec les pros à l'âge de 4 ou 5 ans puisque je faisais les joggings avec eux. Ma mère me disait qu'elle avait accouché dans le stade pour montrer à quel point j'y étais toujours», sourit-il.

La suite est linéaire: centre de formation de Troyes, puis une carrière qui s'effectuera à 90% au sein de ce même club dans les années 80. À une époque où YouTube n'était même pas le commencement d'une idée, l'attaquant a notamment inscrit un but après... cinq secondes de jeu. Mais c'est pour l'ensemble de son oeuvre qu'il a été élu dans l'équipe troyenne du XXe siècle par un groupe de partisans.

L'entraîneur

Vers l'âge de 28 ans, des problèmes de genou le contraignent à imaginer une reconversion. Devenir entraîneur? La chose n'était pas si évidente au début de sa carrière. «Il y a des anciens joueurs devenus entraîneurs qui te disent: "Dès que j'avais 21 ans, je prenais en note les séances et commençais à réfléchir sur la méthodologie." Ce n'était pas du tout mon cas et ce n'est qu'à la fin de ma carrière que j'ai commencé à m'intéresser à l'entraînement.»

Les premières séances ont lieu des deux côtés de l'Atlantique: d'abord à Troyes, puis à Montréal où il collabore notamment à la création du programme de soccer des Citadins de l'UQAM. Mais après un crochet par les États-Unis pour effectuer un postdoctorat, c'est au stade de Reims que les choses deviennent sérieuses. Même s'il avoue que la première année, à la barre de la troisième équipe senior, se veut du domaine de l'insolite.

«Il n'y avait aucun joueur et j'ai dû mettre une petite annonce dans le journal. On a démarré la saison avec un boxeur, des judokas, des coureurs de marathon et quelques joueurs de soccer. On m'a jeté à l'eau et on a fini avec 11 victoires consécutives pour décrocher une montée. C'était une belle aventure humaine, mais il a fallu que je me documente beaucoup et que je passe mes diplômes d'entraîneur en un temps record.»

Au fil des années, ses responsabilités évoluent avec, en point d'orgue, un rôle d'espion pour la première équipe, alors pensionnaire de Ligue 2. Après avoir assisté aux matchs des futurs adversaires, il remet des rapports d'une douzaine de pages à l'entraîneur Marc Collat. «Cela a développé mon aspect tactique puisque je devais voir comment l'équipe adverse jouait et l'entraîneur me sondait pour voir comment j'essaierais de mettre en difficulté cet adversaire-là.»

Pour celui qui s'occupait aussi des moins de 18 ans du club, l'aventure rémoise se termine après un désaccord sur l'orientation pédagogique du centre de formation.

Le bâtisseur

Après huit ans en France, Eullaffroy revient au Québec, en 2005, lorsque le poste d'entraîneur-chef des Redmen de McGill devient vacant. Lors de la quatrième année, il reçoit un appel de Nick De Santis lui demandant s'il est intéressé à prendre les rênes de l'Attak de Trois-Rivières (Ligue canadienne de soccer). La mission est de transformer l'Attak en équipe de développement.

«Je me suis dit: "Maintenant, mon grand, il faut prendre tes responsabilités et appliquer tes idées par toi-même en étant le plus autonome possible." Cela s'est bien passé avec des résultats inespérés, se rappelle Eullaffroy, également vainqueur des Jeux du Canada avec la sélection québécoise des moins de 18 ans. Puis, en 2010, le club a eu l'idée de fonder une académie et m'a proposé de passer à temps plein.»

Il se penche alors au-dessus d'une page blanche où tout doit être monté: de la détection de joueurs à l'embauche du personnel en passant par le relationnel avec les écoles. «L'avantage est qu'il n'y avait pas de lourdeur, d'histoire ou de tradition qui nous aurait empêchés de mettre en place de nouvelles idées. Le désavantage est qu'il n'y avait rien. Il a fallu tout construire même si, en trois ans, on a avancé très vite et on ne s'est pas trompés.»

Le scientifique

Combien de directeurs d'académie ou d'entraîneurs possèdent une maîtrise en biologie marine et un doctorat en toxicologie de l'environnement? C'est le cheminement suivi par Eullaffroy, qui a aussi occupé la fonction de chercheur au Centre Saint-Laurent à Montréal. Il a alors publié une quarantaine d'articles scientifiques et participé à de nombreux congrès. Ce travail de recherche ne l'a pas quitté au moment de bifurquer complètement vers le ballon rond.

«Ce qui m'intéressait le plus dans la recherche, c'est que l'on devait avoir des hypothèses et les vérifier tout de suite. Cet esprit-là, je l'ai toujours et c'est ce que je veux des entraîneurs qui sont à l'Académie, explique-t-il. L'Académie doit rester, en permanence, un laboratoire vivant où l'on a des idées, on les applique, on regarde si cela fonctionne ou pas et on cherche à améliorer les choses. Ce transfert a très facile pour moi, et Nick et Joey (Saputo) m'ont donné l'opportunité de fonctionner comme ça.»

Cet esprit scientifique s'est en fait traduit, dès les premières années, par un intérêt pour la préparation physique. Contrairement au parcours plus traditionnel des entraîneurs, il a d'abord poussé les recherches dans ce domaine avant de se plonger dans les aspects tactiques ou techniques. «Ça se rapprochait des sciences et j'avais véritablement l'impression de pouvoir maîtriser quelque chose. Plus j'en apprenais sur la préparation physique, plus cela m'intéressait et plus que l'appliquais.»

Le pédagogue

Au printemps 2015, les débuts du FC Montréal seront l'un des grands moments chez l'Impact. Face à des adversaires professionnels, les jeunes joueurs montréalais découvriront un nouveau cadre, plus compétitif et plus exigeant, dans lequel la marge d'erreur est inexistante. Lors des premiers mois, le contexte risque cependant d'être difficile pour ce jeune groupe auquel viendront s'ajouter quelques éléments de l'équipe première. Il existe en effet la possibilité de prêter les joueurs pour quelques jours seulement.

«On va avoir 20 ans de moyenne d'âge et être, de loin, l'équipe la plus jeune de ce championnat. 99% des joueurs viendront de l'Académie, avec les défauts et les qualités de cette jeunesse. Mais ce sera un autre type de progression pour eux et un outil de motivation. Ils vont devoir être prêts mentalement, tactiquement et techniquement semaine après semaine, prévoit Eullaffroy. Les années précédentes, on pouvait gagner des matchs sans être à 100%, ce qui ne sera plus le cas en USL Pro. On se rapproche du niveau de la MLS.»