D'une Espagne talentueuse, il a fait une équipe victorieuse: Luis Aragones est mort samedi à 75 ans, laissant l'image d'un sélectionneur de caractère qui a fixé l'identité du jeu espagnole (le «toque») et ouvert un cycle de triomphes avec le sacre à l'Euro-2008.

Cet ancien joueur et entraîneur de l'Atletico Madrid, qui a dirigé de nombreux clubs de Liga au cours de plus de trois décennies passées sur les bancs de touche, s'est éteint samedi matin à 6 h 15 «après avoir été victime d'une maladie hématologique», a annoncé la clinique madrilène Cemtro.

Très critiqué pendant son mandat de sélectionneur (2004-2008), auteur de propos racistes envers le Français Thierry Henry, Luis Aragones avait été ensuite adoubé par ses choix courageux et son titre européen au point de devenir «le sage d'Hortaleza», son quartier de la capitale espagnole.

«C'est un jour triste pour notre football. Nous avons perdu un homme clé dans l'histoire moderne de ce sport. (...) Sans aucun doute, il a ouvert le chemin de cette période si brillante», a réagi Vicente Del Bosque, qui lui a succédé en 2008 à la tête de l'Espagne, reprenant les mêmes bases pour remporter le Mondial-2010 puis l'Euro-2012.

Aragones a été l'un des grands artisans de cette montée en puissance de la «Roja»: il a su fixer le jeu de passes («toque» ou «tiki-taka»), chasser les démons d'une sélection talentueuse mais souvent défaite, et décrocher en Suisse et en Autriche un deuxième triomphe européen après celui de 1964.

Il a aussi su écarter des grands noms trop encombrants, comme l'attaquant du Real Madrid Raul, alors capitaine de la sélection, au profit d'une équipe rajeunie avec notamment Fernando Torres, unique buteur en finale de l'Euro contre l'Allemagne (1-0).

«Un mental très fort»

Mais cette renaissance ne s'est pas fait sans heurts. Lors des qualifications pour l'Euro-2008, l'Espagne a été notamment défaite par l'Irlande du Nord (3-2).

«Fuera!» («dehors!»), exige alors la presse.

«J'ai entendu les critiques et j'ai toujours su qu'un jour on verrait qui a raison et qui a tort, réagira Aragones sitôt le titre conquis. Soyez plus clément avec le sélectionneur qui me remplacera. Moi, j'avais un mental très fort.»

Après le triomphe, les «Luis, quedate» («Luis, reste») sont scandés par la foule, mais Aragones, comme il l'avait annoncé avant l'Euro, laisse son poste et rejoint pour quelque temps le club turc de Fenerbahçe.

Car, comme il l'a prophétisé, les fondations de la «Roja» sont solides et elle «peut avoir d'autres triomphes».

Grand-père bourru

Visage bougon, oreilles décollées et fines lunettes, «le sage» consacré à 69 ans ressemblait moins à un vieillard bienveillant qu'à un grand-père bourru qui envoie promener tout le monde pour avoir la paix.

Aragones a néanmoins eu la sagesse de rester sourd aux critiques contre ses résultats en qualifications, d'attendre que passe l'orage déclenché par son mauvais mot sur Thierry Henry, traité de «nègre de m...», et de souder son groupe pour l'emmener au sommet.

«Sa personnalité nous a marqué à vie. RIP Don Luis», a écrit le milieu de terrain Xabi Alonso sur Twitter.

Celui qu'on appelait "Grandes bottes" quand il était joueur (11 sélections) ne laisse toutefois pas un palmarès d'entraîneur à la hauteur de sa réputation.

Il a entraîné une dizaine de clubs différents en 35 ans, dont l'Atletico Madrid à trois reprises, avec un titre national en 1977 et trois Coupes du Roi, ainsi que le Barça (1987-88), avec lequel il a aussi remporté la coupe.

Début décembre, il avait annoncé dans une interview prendre sa retraite, avant de revenir sur ses propos.

L'Atletico a fait savoir que le corps de Luis Aragones serait transféré à la mi-journée au funérarium de Tres Cantos, près de Madrid, et qu'il serait enterré dimanche «dans l'intimité».