Depuis longtemps déjà, les matchs truqués ont été considérés comme le plus grand fléau du soccer mondial. Avec autant de championnats, d'équipes et donc de protagonistes, les réseaux criminels peuvent facilement trouver quelques athlètes ou arbitres prêts à trafiquer le cours d'un match. Cependant, l'ampleur du scandale surprend: 680 matchs, disputés entre 2008 et 2011, ont été jugés suspects par Europol. «C'est un réseau de matchs truqués présumés d'une ampleur jamais vue auparavant», a prévenu le directeur de l'office européen de police, Rob Wainwright. Explications.

Comment les réseaux s'y prennent-ils?

Deux règles d'or existent pour ces réseaux qui ont influencé le sort de centaines de matchs: trouver de bons intermédiaires jusqu'aux joueurs, puis instaurer le plus de distance possible entre l'évènement et le pays où est placé le pari. Auteur du best-seller Comment truquer un match de foot?, Declan Hill estime que 20 à 30 corrupteurs sillonnent la planète pour recruter des intermédiaires. «Ce sont d'anciens entraîneurs ou joueurs qui jouissent d'une bonne réputation et qui peuvent facilement appâter leurs proies», affirme l'auteur. Europol a souligné que 2,7 millionsavaient été versés à divers arbitres, dirigeants et joueurs en quelques années. Les gardiens et les défenseurs sont les plus susceptibles d'être achetés avec une préférence pour des joueurs en proie à des problèmes financiers. Ces réseaux brandissent également la menace du chantage lorsqu'un joueur cherche à cacher un adultère ou une dépendance.

Dès que le cartel a la certitude que le match sera bel et bien truqué, il demande à des dizaines de collaborateurs, en Chine ou ailleurs en Asie, de miser des sommes relativement modestes réparties sur plusieurs cartes de crédit. Pour éviter d'attirer tout soupçon, ils peuvent également parier sur le résultat opposé.

Qui sont les hommes à la tête de ce scandale?

Selon plusieurs sources concordantes, l'homme d'affaires chinois Dan Tan Seet Eng est à la tête de cette affaire. Âgé de 48 ans, celui qui réside à Singapour est loin d'être un parfait inconnu puisque les autorités italiennes l'avait déjà épinglé lors du Calcioscommese, l'an dernier. Son influence s'étend aussi sur une grande partie du globe dont l'Asie, l'Afrique, l'Amérique latine et de nombreux pays d'Europe. Malgré un mandat d'arrêt international, le richissime Tan n'est pas inquiété par la justice de Singapour, qui prétend attendre des preuves supplémentaires avant de passer à l'action. L'image de la cité-État commence néanmoins à être sérieusement écornée par l'existence de ce réseau.

Les autorités européennes ont mieux cerné l'individu et ses mécanismes grâce notamment à Wilson Raj Perumal, un ancien corrupteur hors pair devenu informateur. De nationalité singapourienne, ce dernier se déplaçait dans le monde entier pour trouver des cibles et établir les montants à verser. Muni d'un faux passeport lors d'un voyage en Finlande, il a été arrêté, puis incarcéré en 2011, pour avoir truqué une vingtaine de matchs. Perumal croit que, par l'entremise de son propre bras droit, Tan l'a dénoncé aux autorités finlandaises.

Aujourd'hui détenu en Hongrie, Perumal a aussi expliqué sa facilité à truquer certaines rencontres amicales, peu surveillées par les autorités, en choisissant lui-même le stade ou les arbitres. Il est également le «cerveau» derrière un faux match amical entre le Bahrein et le Togo (3-0), en 2010. Par la suite, la Fédération togolaise a assuré qu'aucun de ses membres n'était au courant de la rencontre durant laquelle cinq buts avaient été refusés pour hors-jeu...

La situation était-elle prévisible?

Si ce scandale a abasourdi le monde du soccer par son côté tentaculaire et international, plusieurs institutions avaient déjà tiré la sonnette d'alarme. En février 2012, un rapport de la Fédération internationale des Associations de footballeurs professionnels (FIFpro) indiquait que 12% des joueurs des pays d'Europe de l'Est avaient été approchés afin de peser sur le résultat d'un match. Ceux du Kazakhstan (34,3%) et de la Grèce (30,3%) étaient les plus exposés à ce type de manipulation. De l'Allemagne à la Belgique en passant par l'Italie, l'Europe de l'Ouest a également été secouée par des affaires de matchs truqués ces dernières années. Dans la majorité des cas, les enquêtes ont mené à des pistes asiatiques ou balkaniques. Ante Sapina, un Allemand d'origine croate, a ainsi été condamné à deux reprises, en 2006 et 2011, pour le trucage de plusieurs matchs, dont un de qualifications pour la dernière Coupe du monde. Les investigations des enquêteurs allemands ont aussi prouvé des liens entre ce réseau et ceux de Singapour.

L'Amérique du Nord est-elle épargnée?

Selon le rapport d'Europol, aucun match de la MLS ne fait partie des 680 matchs considérés comme suspects. Néanmoins, le terreau pourrait y être fertile puisque les salaires sont relativement faibles. Selon Hill, plusieurs joueurs de la MLS ont d'ailleurs été approchés au cours des dernières saisons. Pour se protéger de cette menace, la Ligue ne lésine pas sur la prévention auprès des 19 équipes, en plus de surveiller étroitement les mises effectuées à Las Vegas et ailleurs dans le monde. Cette saison, elle bannira également toute communication téléphonique et électronique dans les vestiaires lors des 60 minutes précédant un match.

Le plus gros scandale a éclaboussé la Ligue canadienne de soccer (LCS) lorsque des membres du Toronto Croatia ont été payés afin de s'incliner contre l'Attak à Trois-Rivières, alors club-école de l'Impact, en septembre 2009. Récemment, le président de la LCS, Vincent Ursini, a précisé que des paris totalisant 185 millions étaient placés sur les matchs de son championnat chaque saison.