Encore une fois, la planète soccer va s'arrêter de respirer, aujourd'hui, pour la 253e Clasico hors-norme entre le FC Barcelone et le Real Madrid. En plus de l'antagonisme sportif croissant des dernières saisons, l'actuelle fièvre indépendantiste catalane vient plus que jamais teinter ce duel au sommet. Elle rappelle surtout qu'historiquement, ballon rond, politique et nationalisme ne sont jamais très loin lorsque les deux géants espagnols s'affrontent.

Les deux institutions existent depuis plus de 100 ans, mais la guerre civile, puis la dictature franquiste (1939-1977) ont très largement contribué à creuser le fossé actuel. En 1936, le président du Barça, Josep Sunyol est, par exemple, tombé sous les balles des troupes de Franco. Puis au fil des années, le dictateur - un proche du célèbre président du Real, Santiago Bernabeu - a usé de tout son pouvoir pour nuire aux Blaugranas. Les pressions ont pris la forme de menaces avant un match retour de la Copa Del Generalísimo - perdu 11 à 1 par le Barça - ou du transfert avorté du génial Alfredo di Stefano vers la Catalogne.

En signe de résistance, le peuple catalan s'est tourné vers son club de soccer qui est alors devenu son principal vecteur d'expression identitaire. Le slogan, dévoilé en 1968 le dit, le FC Barcelone est bien plus qu'un club («més que un club») aux yeux de la population. Lors de son mandat, l'ancien président Joan Laporta, aujourd'hui politicien, avait même déclaré que son équipe était «l'armée d'un État sans nation».

Il aurait pu ajouter que le Camp Nou était le plus grand champ de bataille de la Catalogne.

L'enceinte de près de 100 000 places, inaugurée en 1957, était l'un des rares endroits où le catalan était parlé sans risque de représailles. Mais une fois à l'extérieur, la coercition était de rigueur.

«Pendant la dictature, l'idée était de rendre tout le monde espagnol, en ne tolérant pas l'expression publique des différences culturelles», explique André Lecours, professeur au département de science politique de l'Université d'Ottawa.

«Mais dans son histoire, l'Espagne a toujours tenté d'assimiler d'une façon moins concertée que la France. L'État n'était pas assez fort pour intégrer ses populations.»

Plus d'un demi-siècle plus tard, la situation n'a guère évolué. Avec des élections anticipées qui approchent, le Camp Nou est toujours le prolongement de ce désir d'émancipation. La magie des réseaux sociaux opérant, le public a récemment agité un nombre impressionnant de drapeaux catalans et surtout scandé «i-inde-independencia» après 17 minutes et 14 secondes de chaque mi-temps. Un clin d'oeil à la chute de la ville face aux armées des Bourbons, en 1714. Aujourd'hui, l'entrée des joueurs s'accompagnera également d'un tifo géant aux couleurs de la Catalogne.

Pour M. Lecours, cette poussée est aussi le résultat de la grave crise économique qui secoue le pays et du remède préconisé par Madrid. Les Catalans se sentent lésés lorsque les politiciens espagnols évoquent la possibilité de recentraliser certains pouvoirs relevant des 17 communautés autonomes.

«La Catalogne est l'une des régions les plus riches d'Espagne et la population pense que la crise se passe un peu sur leur dos. Il y donc une rationalité économique puisqu'elle ne veut pas tirer les régions plus pauvres hors de la crise.»

Et les succès de la Roja?

Depuis 2008, la sélection espagnole enchaîne les succès sur la scène internationale. Quelques symboles espagnols ont bien été déployés dans les rues barcelonaises, mais les célébrations ne sont pas à la hauteur de celles de Madrid.

«La victoire espagnole lors de l'Euro a été accueillie de différentes façons dans les régions d'Espagne, explique M. Lecours. Par exemple, lorsque certains Basques sont sortis dans les rues pour fêter ce succès avec des drapeaux espagnols, ils se sont fait menacer par des politiciens locaux.

«Le sport international est vraiment l'image que le gouvernement veut projeter du pays: c'est la victoire de l'Espagne et c'est tout. Alors qu'en Catalogne, on tente de nuancer les choses et de mettre l'accent sur les joueurs de la région.»

Deux puissances

Un FC Barcelone-Real Madrid, c'est avant tout l'affrontement de deux des plus grosses puissances du monde avec, en leur rang, une constellation d'étoiles. L'attention sera plus que jamais dirigée sur l'éternel duel que se livrent le Barcelonais, Lionel Messi, et le Madrilène, Cristiano Ronaldo. Depuis l'arrivée de ce dernier dans la Liga, en 2009, les deux hommes rivalisent de prouesses techniques et de buts par dizaines. Cette année, ils ont déjà inscrit six buts chacun. Au classement, les Catalans possèdent une énorme avance de huit points sur le Real après seulement six matchs. Avec cet écart, l'issue du championnat ne fait déjà plus de doute, selon certains observateurs.

L'exemple de Monaco

Qu'adviendrait-il du FC Barcelone si la Catalogne devenait un jour un pays? Même s'il a récemment participé à une énorme manifestation pro-indépendance, le président Sandro Rosell croit que le statu quo prévaudra. «Si la Catalogne obtenait son indépendance, je n'ai aucun doute sur le fait que Barcelone continuerait à jouer en Liga espagnole, comme Monaco le fait en France», a-t-il indiqué. Le Parlement catalan a approuvé l'idée d'un référendum même si sa tenue, sans l'accord du gouvernement espagnol, est passible d'une peine de prison pour ses organisateurs.