Les succès du FC Barcelone, champion en titre d'Europe et d'Espagne, ne sont pas le fruit du hasard, mais plutôt le résultat d'une philosophie patiemment inculquée à ses futurs joueurs, dès l'enfance. En ce jour de Clasico - le duel bi-annuel contre l'ennemi juré, le Real Madrid -, Patrick Leduc rend compte de sa récente visite à la Masia, le centre de formation du club catalan.

Barcelone. Ville des Prodiges. Ville de secrets. J'éprouve depuis longtemps une attirance particulière pour la métropole catalane et, plus précisément, pour son club-phare, le FC Barcelone. Je me berce peut-être d'illusions, mais j'ai souvent l'impression de trouver sur mon chemin des liens qui me renvoient vers le Barça. De mes lectures d'enfance (la série bédé d'Eric Castel), à mes camarades universitaires socis*, sans oublier l'ex-préparateur physique de l'Impact, Gil Orriols, je ne compte plus les rencontres de ma vie personnelle et professionnelle qui ont accentué mon penchant pour le club Blaugrana.

Nous sommes au début novembre. J'en suis à mon quatrième pèlerinage en terre catalane depuis 2003. D'abord comme partisan, puis comme entraîneur en stage d'observation et maintenant comme journaliste, je profite des relations que j'ai eu la chance d'établir durant ma carrière pour m'immiscer à l'intérieur de la Ciutat Esportiva Joan Gamper, là où s'entraînent tous les espoirs du Barça. Autrefois situé à la Masia, une maison ancestrale aux abords du Camp Nou, le centre de formation qui a vu passer Puyol, Xavi, Iniesta et Messi arrive à produire année après année des joueurs qui rejoignent les professionnels, dans une équipe championne d'Espagne et d'Europe en titre.

J'admire le jeu pratiqué par l'équipe de Josep Guardiola et je compte profiter de ma visite pour percer le secret derrière la réussite Blaugrana. Les performances envoûtantes du «Pep Team» sont d'autant plus impressionnantes que la majorité des acteurs qui en sont responsables ont grandi au sein du club. Aucune autre équipe de l'élite européenne ne peut en dire autant. Au même rang que Gaudí ou que le restaurant El Bulli, il faut inclure la recette du Barça parmi ce que le patrimoine catalan compte de plus génial.

ADN Barça

Le complexe sportif de la banlieue de Barcelone est désormais l'endroit où l'on enseigne chaque jour la philosophie du Barça aux jeunes joueurs recrutés par le club. J'y ai rendez-vous avec mon ami Pere Gratacos. Il était entraîneur de la filiale du club, le Barça B, quand Messi y jouait. J'ai connu Gratacos par l'intermédiaire de Gil Orriols, qui faisait aussi partie du personnel technique à la même époque. Depuis l'été 2011, il occupe le poste de directeur des relations sportives.

Grâce à lui, j'obtiens pendant une semaine un accès privilégié aux entraînements de toutes les équipes du Barça, des jeunes de 8 ans jusqu'aux vedettes dirigées par Guardiola. Il m'apparaît vite évident que le message lancé à tous les joueurs inscrits au club est le même, peu importe leur âge: calme avec le ballon, circulation rapide et reconquête immédiate lorsqu'on perd celui-ci. Exactement comme les pros! Les consignes sont claires et on les répète continuellement. Comme quoi on n'essaie pas de les garder secrètes - même si certains entraîneurs n'apprécient guère qu'on filme leurs entraînements...

«Offensivement, notre objectif est de garder le ballon le plus longtemps possible, explique Denis Silva, entraîneur-chef de l'équipe Infantil B (U13). Le concept est parfois difficile à comprendre pour les nouveaux. Par contre, sur le plan défensif, on veut récupérer le ballon le plus vite possible, peu importe où il se trouve sur le terrain.»

C'est ainsi qu'on imprime l'ADN Barça sur les espoirs blaugranas. Une fois admis au sein de cet institut pour surdoués, leur vocation est d'apprendre et de maîtriser le style de la maison. Mais la cité sportive n'est pas pour autant un laboratoire issu du Meilleur des mondes. Le caractère pédagogique des séances me fait plutôt penser à une sorte d'Oxford du tiki-taka - surnom donné à la circulation du ballon en une touche de l'équipe de Guardiola. On y valorise suffisamment la technique et la créativité pour éviter de produire des joueurs formatés.

Plus d'appelés que d'élus

Autre constat: il n'y a pas de morphologie idéale. «Le joueur doit être très bon techniquement et être une bonne personne. Les qualités physiques ne sont pas si importantes, assure Denis Silva. Vous pouvez constater que l'on compte plusieurs joueurs de très petite taille dans notre équipe. La priorité est de pouvoir garder le ballon et pour y arriver, il nous faut des joueurs techniques.»

Malgré l'abondance de talent, des 20 joueurs âgés de 12 ans en 2011, le club n'en a retenu que 13 pour la prochaine saison. Le scénario est à peu près identique dans chacune des 12 équipes de jeunes comprises entre 9 et 19 ans. Ici, on recrute en permanence pour étoffer chaque catégorie d'âge. Dans ce contexte ultra-compétitif, il y a toujours plus d'appelés que d'élus.

«Le plus important pour la réussite à long terme est l'aspect mental, pas seulement la technique. Une mentalité gagnante et la volonté de jouer en équipe font souvent la différence pour arriver au sommet, alors que le joueur égoïste n'y arrivera pas», souligne Denis Silva.

Les formateurs du Barça travaillent dans une optique de développement à long terme, mais ils n'oublient jamais l'objectif final qui est de préparer des joueurs pour l'équipe professionnelle. Il en découle qu'on attache une place importante à la victoire chez les jeunes pour renforcer leur mentalité gagnante.

Cela ne se fait pas au détriment de la manière, toutefois. «On veut toujours gagner, même durant les entraînements. Mais on veut gagner à notre manière, explique l'adjoint de Silva, Carlos Lopez. Si la manière n'est pas la bonne, on corrige. On gagne parfois des matchs durant lesquels on ne joue pas bien et le directeur technique formule ses critiques. Par contre, il arrive qu'on perde mais que les joueurs ont bien appliqué les consignes. Ça passe un peu mieux.» Autrement dit, on ne compromettra jamais les principes de jeu du club pour aller chercher un résultat.

Et si ça se résumait à ça, les grandes lignes de cette fameuse recette blaugrana? Rien de bien sorcier. Un peu trop simple, comme diraient les candidats à Un souper presque parfait ! Mais quelque chose me dit que j'aurais du mal à mettre la main sur les mêmes ingrédients chez nous, et que la sauce risquerait de goûter quelque chose d'un peu moins génial...

* Adhérents du club