Au moment où les séries éliminatoires de la Major League Soccer (MLS) battent leur plein, l'Impact prépare son entrée dans cette ligue d'élite.

Dès mars prochain, l'équipe montréalaise se joindra aux 18 formations établies dans des villes comme New York, Los Angeles et Toronto, et alignant des joueurs aussi connus que Thierry Henry et David Beckham. Même si l'enthousiasme est élevé dans les bureaux du stade Saputo, ce passage au sommet du soccer nord-américain semble toujours un secret bien gardé. Malgré un succès d'estime, l'Impact ne jouit pas d'une forte notoriété. Confinée à des ligues de deuxième niveau depuis sa fondation en 1993, l'équipe n'a jamais émergé de sa niche naturelle, celle des passionnés de ballon rond. De son côté, la MLS demeure méconnue au Québec. Il s'agit pourtant d'un circuit de premier plan, bâti sur un modèle économique original, et qui connaît une formidable progression. Afin de saisir la portée de cette entrée en MLS, je me suis entretenu avec Joey Saputo, propriétaire et président de l'Impact. J'ai découvert un homme en pleine possession de ses dossiers, débordant d'ambition, mais aussi très réaliste. Ses réponses étoffées permettent de lever le voile sur les défis stratégiques de l'organisation. Nous avons abordé plusieurs sujets, dont celui de l'embauche potentielle d'un véritable joueur étoile, capable d'incarner la nouvelle image de l'équipe. Car en MLS, même si le plafond salarial est de 3 millions, chaque équipe peut mettre sous contrat trois « joueurs désignés «, rémunérés selon leur réelle valeur sur le marché. Voici une synthèse de notre discussion.

Q : M. Saputo, le Galaxy de Los Angeles verse 6,5 millions à David Beckham et le Red Bull de New York, 5,6 millions à Thierry Henry. Accorderiez-vous un salaire semblable à un joueur vedette ?

R : C'est une décision d'affaires. Cela doit avoir du sens sur le terrain et sur le plan du marketing. Si on embauche un joueur pareil, sa présence devra augmenter la vente de maillots et d'autres produits dérivés, en plus de nous donner l'occasion de participer à des matchs internationaux qui génèrent des revenus.

D'autre part, ce serait ridicule de mettre sous contrat un joueur à ce prix-là si on ne lui fournit pas des coéquipiers capables de le soutenir. Si on engage un buteur mais que personne ne lui fait de belles passes, on n'aura rien accompli, sauf lui faire mal ainsi qu'à l'équipe.

Un tel joueur ne doit pas venir à Montréal simplement pour l'argent. Il devra participer au développement de notre club, inspirer nos jeunes et communiquer avec eux.

Si on choisit cette direction, ça deviendra un investissement. Et comme tous les investissements, certains fonctionnent, d'autres pas.

Q : Serait-il préférable d'embaucher trois solides joueurs payés 2 millions chacun ?

R : L'important, c'est de trouver des gars animés par les bonnes motivations. Plus tôt cette année, nous avons négocié avec un joueur désigné. Il nous a finalement dit qu'il préférait attendre une offre éventuelle de New York ou Los Angeles. C'est clair qu'il ne serait pas venu à Montréal pour les bonnes raisons !

J'ai discuté de tout ça avec Nick De Santis (directeur sportif) et Jesse Marsch (entraîneur-chef) et je leur ai donné le OK pour embaucher des gars qui feront la différence. C'est peut-être mieux d'avoir trois joueurs de premier plan qui nous feront gagner, plutôt qu'un autre qui nous fera vendre plus de maillots. Notre philosophie, c'est d'abord d'être compétitifs et de remporter des victoires. Mais on étudiera toutes les possibilités.

Q : Jusqu'à maintenant, vous avez vendu 5000 abonnements saisonniers en vue de la saison 2012. Avez-vous bon espoir d'atteindre l'objectif de 15 000 ?

R :C'est un défi, car nous n'avons jamais eu une bonne base à ce niveau. À Montréal, les gens achètent souvent à la dernière minute. Mais je suis compétitif et j'espère qu'on fera aussi bien que d'autres équipes qui ont accédé à la MLS. Seattle a vendu 32 000 billets de saison ; Toronto, 16 000 ; Vancouver, 15 000...

Avec 5000 billets vendus aujourd'hui, je ne suis pas inquiet. Mais je serai content lorsqu'on atteindra notre premier plateau, établi à 8000. Et si notre objectif est de 15 000, notre budget a été établi sur la base de 13 000 billets de saison.

Q : Comment stimulerez-vous les ventes ?

R : Nous ferons plusieurs annonces au cours des prochaines semaines, dont le dévoilement du maillot le 1er décembre.

Pour l'instant, c'est difficile de confirmer l'arrivée de nouveaux joueurs. Le repêchage de l'expansion aura lieu le 23 novembre. On ne veut pas dévoiler nos cartes à nos adversaires, qui pourraient modifier leur liste de protection en conséquence.

Cela dit, notre nouvelle ligue est peu connue. Nous avons réalisé une étude marketing où 90% des gens appuyaient notre passage à la MLS. L'ennui, c'est que l'immense majorité d'entre eux ignoraient ce qu'était la MLS ! Ils savent qu'il s'agit d'un calibre supérieur, mais c'est tout. Plusieurs de nos fans pensent que les joueurs de cette saison reviendront l'an prochain.

Q : Est-ce si étonnant ? Vous ne semblez pas faire beaucoup de publicité...

R : On a commis des erreurs avec notre plan de communication lors du lancement du logo au mois d'août. On croyait obtenir une plus grande couverture et ça n'a pas fonctionné. Même dans nos publicités à la radio, le message était un peu confus. Il faut reconnaître notre erreur, prendre un temps d'arrêt et planifier notre prochaine étape.

Nous sommes en train de réviser tout l'aspect marketing. On doit faire connaître le club avant la ligue. C'est sur l'équipe que les gens accrocheront. Notre nouveau logo est très bien accueilli. Lorsqu'on montre la vidéo illustrant sa signification à des groupes, les gens disent « wow ! «. Ils comprennent comment il est identifié à la ville. On devra l'utiliser plus souvent pour que les gens s'attachent à l'équipe.

Q : Vos enquêtes suggèrent que le public connaît mal la MLS. Quelles sont ses particularités ?

R : Le plafond salarial assure une certaine parité entre les clubs et donne à tous la chance d'être compétitifs. Ce n'est pas comme dans d'autres pays où deux ou trois équipes dépensent plus que les autres. Kansas City, par exemple, peut lutter contre Los Angeles.

Tous les propriétaires d'équipes sont des partenaires d'affaires au sein d'une entité unique. Par exemple, l'Impact contrôle ses dépenses et ses revenus, mais touche sa part des profits de la ligue.

Comme toutes les autres organisations, nous verserons le tiers de nos recettes aux guichets dans l'enveloppe commune. Au niveau des produits dérivés, nous conservons les revenus de tout ce qui est vendu dans notre territoire, le Québec.

Les joueurs signent leur contrat et sont payés par la MLS. Dans le cas des joueurs désignés, chaque équipe doit verser à la ligue l'écart entre leur salaire et 335 000 $, la somme imputée aux fins du plafond salarial.

Q : Vous avez embauché plusieurs Américains à des postes-clés, notamment aux postes d'entraîneur-chef, entraîneur-adjoint et directeur des opérations soccer. Ces décisions n'entrent-elles pas en conflit avec votre désir de développer l'expertise québécoise ?

R : On veut se donner toutes les chances de gagner dès la première année. Nous voulions un entraîneur capable d'attirer de bons joueurs. Ce n'est pas nécessairement facile pour un Américain de s'établir ici.

Lorsqu'un gars comme Matt Jordan, notre directeur des opérations, explique comment sa famille et lui se sont intégrés à la vie montréalaise, comment ses enfants apprennent le français, il est bien placé pour convaincre un joueur de se joindre à nous.

Au niveau de notre Académie, qui forme nos jeunes de la relève, des Québécois sont en charge. Nous sommes conscients qu'il ne faut pas seulement préparer des joueurs, mais aussi du personnel d'encadrement. Et c'est avec ce système qu'on est en train de le faire.

Q : Quels sont vos objectifs pour cette première saison ?

R : On ne se voit pas comme un club de l'expansion, on ne démarre pas de zéro. Nous voulons une équipe gagnante. C'est important à Montréal, surtout si on se compare au Canadien et aux Alouettes, qui ont connu beaucoup de succès. Et nous souhaitons être acceptés par les fans.