L'attribut de la folie colle à la peau du gardien de but de soccer depuis toujours. Après tout, il doit arrêter de puissants tirs dans une cage de sept mètres de long, s'imposer dans les airs au milieu d'une forêt de joueurs et ne pas hésiter à plonger - parfois la tête la première - pour stopper les velléités adverses. Sans compter que son droit à l'erreur est quasiment inexistant.

Longtemps incompris, avec des spécificités tout autant ignorées par les entraîneurs, le poste a pourtant subi une profonde transformation depuis une vingtaine d'années. Les gardiens sont aujourd'hui plus grands (voir autre texte) et mieux intégrés au jeu.

La règle, établie en 1992, interdisant au gardien de se saisir à la main des passes en retrait, a grandement redéfini son rôle et ses propriétés. Deux tiers de ses gestes réalisés en cours de match le sont avec les pieds.

«Il est devenu plus fluide, plus fin et plus beau à voir jouer, explique l'entraîneur des gardiens de l'Impact de Montréal depuis 2004, Youssef Dahha. Mais la grosse différence est qu'il doit savoir jouer avec ses pieds. Un gardien est maintenant un joueur qui est spécialisé gardien. Il doit aussi savoir lire les jeux et connaître les tactiques.»

Devant cette évolution, encore faut-il que les techniques d'entraînement progressent au même rythme.

«Avant, un gardien venait à l'entraînement et il fallait qu'il sorte en sang, poursuit Dahha. Il se jetait à terre et recevait des tirs comme s'il était un punching bag.»

Si le ratio de passes réussies par Xavi et le nombre de ballons touchés par Cristiano Ronaldo sont connus depuis longtemps, le gardien a rarement été placé sous un tel microscope. Enseignant à la Faculté des sciences du sport et de l'éducation physique de Lille, Franck Lefèvre a remédié à ce manque.

Grâce à une étude de tous les buts inscrits dans le Championnat de France durant la saison 2007-2008, il est parvenu à isoler les grandes tendances et à ajuster ses méthodes d'entraînement en conséquence.

Selon ses conclusions, 85% des buts ont été marqués dans la surface de réparation, dont 60% entre la ligne de but et le point de penalty. De plus, 87% des 868 buts analysés ont été inscrits à une touche ou deux touches de balle.

Cet ex-entraîneur des gardiens avec le Lille olympique (LOSC) a aussi calculé que, durant l'Euro 2008, un but sur deux était consécutif à un centre. En plus d'une grande taille, le gardien doit donc faire preuve de grands réflexes et de spontanéité.

«Ce que j'ai pu connaître tout gamin avec des entraîneurs qui mettent des ballons aux 16,5 mètres pour faire une succession de frappes répétées, cela n'a plus grand sens, raconte-t-il lors d'une entrevue téléphonique avec La Presse.

«Je suis partisan d'un travail dans la surface avec des répétitions d'exercices explosifs où l'on met en place les qualités de vivacité du gardien de but.»

Le gardien moins isolé

La prise de conscience sur la marge de progression des gardiens s'est opérée à partir des années 90, croit Lefèvre. Durant cette décennie, les équipes de soccer sont entrées dans l'ère de la mondialisation avec des revenus en hausse exponentielle. Dans la foulée, les ressources allouées au gardien ont été multipliées.

«Il fut un temps où il n'y avait pas d'entraîneur spécifique et où on demandait au premier venu de s'en occuper sans en avoir les compétences, se rappelle-t-il. Maintenant, les entraîneurs de gardiens sont eux-mêmes d'anciens gardiens et on voit aussi que des formations se mettent en place.»

Avec une meilleure collaboration entre les différents entraîneurs, le gardien n'est plus seul dans son coin sur le terrain, dans le vestiaire ou lors des réunions. Si certains instructeurs ont encore la mauvaise habitude de ne pas l'associer, la tendance tend très largement à son inclusion avec le reste de ses coéquipiers.

«Lorsqu'il n'est pas sollicité par du travail spécifique, le gardien est toujours avec le groupe, souligne Dahha. Il va travailler ses déplacements pour coulisser avec le bloc. Il n'est plus seulement celui qui arrête le ballon, il est aussi celui qui fait la première relance. Il est le premier attaquant.»

Travailler le mental

Les bourdes des gardiens traversent l'histoire. Celles de l'Espagnol Luis Arconada, durant l'Euro 84, ou de l'Anglais Robert Green, au Mondial 2010, marquent davantage les esprits que la maladresse d'un attaquant.

Face à cette tolérance zéro du public et des médias, le mental joue un rôle prépondérant. Non seulement le gardien ne doit pas être en proie au doute, mais il doit rester très concentré durant les 90 minutes du match. L'étude de Lefèvre a montré que 56% des buts de Ligue 1 sont survenus en deuxième mi-temps. Comment travailler cet aspect si particulier qui mêle «concentration, endurance psychologique et gestion du stress», selon ses propres termes?

«La confiance est liée au travail, soutient Dahha. Lorsque tu répètes des choses de façon positive, tu n'as pas peur et tu ne doutes pas en arrivant dans le match. C'est comme un examen que tu prépares bien. Un gardien qui doute, c'est un gardien avec lequel on n'a pas assez travaillé.»

Plusieurs méthodes existent pour prévenir les appréhensions et aider moralement un gardien, auteur d'une gaffe ou au coeur d'une mauvaise séquence.

«Cela peut se travailler par de la préparation mentale intégrée avec son entraîneur à travers des mises en situation, raconte Lefèvre. Après, il y a du travail plus spécifique en matière de relaxation, d'imagerie mentale et de visualisation.»

Avec l'utilisation de la vidéo, l'aspect mental est d'ailleurs l'un des points qui peuvent encore être améliorés, juge-t-il. Parce que le gardien de demain ne sera sans doute pas celui d'aujourd'hui.