Ils habitent à l'ombre du stade d'Orlando. Soccer City, n'est qu'à quelques kilomètres. Le Mondial est à leurs portes. Mais pour la plupart des habitants du bidonville de Zimbuzini Industrial, à l'entrée de Soweto, il pourrait aussi bien se dérouler de l'autre côté de la planète.

Ils habitent à l'ombre de la masse noire du stade d'Orlando, où a eu lieu le méga-concert qui a lancé la Coupe du monde. Du seuil de leurs masures de tôle, ils peuvent voir passer les cars de touristes qui s'en vont visiter la rue Vilakazi, où ont autrefois vécu deux Prix Nobel de la paix, Nelson Mandela et Desmond Tutu.

Soccer City, le stade où aura lieu la finale, dimanche, n'est qu'à quelques kilomètres, masqué par les collines de résidus miniers, ces drôles de pyramides tronquées qui bloquent l'horizon entre Soweto et le centre-ville de Johannesburg.

Le Mondial est à leurs portes. Mais pour la plupart des habitants du bidonville de Zimbuzini Industrial, à l'entrée de Soweto, il pourrait aussi bien se dérouler de l'autre côté de la planète. Quand on s'entasse à deux, trois ou quatre dans quelques dizaines de pieds carrés, entre quatre murs minces comme du papier, les chances qu'on puisse s'offrir un billet pour la grand-messe du soccer sont comme le mercure un soir d'hiver à Johannesburg: elles frôlent le zéro.

«J'aime le soccer, mais je n'ai pas d'argent pour aller voir les matchs. J'ai écouté le match des Bafana Bafana contre la France à la radio. C'était bien», dit Vusi Vilakazi, 45 ans, pendant que ses deux fillettes, âgées de 4 et 1 an, s'accrochent à son pantalon, derrière la clôture de fils métalliques dont il a entouré sa modeste demeure.

Le bidonville est établi sur une petite parcelle de terrain pentu, entre une ligne de chemin de fer et un ruisseau boueux où personne n'oserait s'abreuver. Environ 150 cabanes y ont été bâties dans le désordre. Des gens originaires de tous les coins de l'Afrique du Sud -du KwaZulu-Natal au Limpopo- y habitent. Des détritus s'empilent un peu partout. Le terrain vague avoisinant fait office de latrines. Il faut aller chercher l'eau dans un puits, un peu plus loin. Et il n'y a évidemment pas d'électricité.

Pas d'électricité, pas de télé. Les fans de foot - et il y en a beaucoup - s'organisent comme ils peuvent pour voir les matchs. Certains marchent jusqu'au Maponya Mall, l'énorme centre commercial qui a ouvert ses portes à Soweto il y a trois ans. D'autres profitent d'un écran géant installé dans un parc tout neuf d'Orlando West, de l'autre côté de la route qui sépare le township en deux. Et d'autres encore, comme Christopher Matimba, 29 ans, se trouvent une place dans la salle commune de la petite épicerie voisine, où trône une vieille télé à tube cathodique.

C'est là qu'il a vu le Ghana être éliminé en tirs de barrage par l'Uruguay après que Luis Suarez eut stoppé de la main un but certain de Dominic Adiyiah, vendredi. C'est là qu'il a vu l'Allemagne passer au hachoir l'Argentine, l'autre équipe qui lui était chère. Et c'est sans doute là qu'il regardera les demi-finales qui ont lieu aujourd'hui et demain, au Cap et à Durban.

Christopher a profité de la Coupe du monde. Un peu. Il a vendu des vuvuzelas - une soixantaine en tout, dit-il - et des drapeaux dans le township, à 30 rands pièce (4$). «J'ai commencé par en acheter cinq et j'ai fait de l'argent pour en acheter 10, puis 20, puis 40 et c'est là que j'ai commencé à faire un profit», explique-t-il.

L'élimination de l'Afrique du Sud au premier tour et celle du Ghana en quarts de finale ont malheureusement tué le marché. «Depuis qu'il n'y a plus de pays africain en lice, je ne vends plus rien», déplore-t-il, en exhibant deux trompettes de plastique qu'il n'a pu écouler.

Une maison ou des jeux?

La plupart des squatters espèrent obtenir un jour une maison dans le cadre du programme de reconstruction et de développement établi après la fin de l'apartheid. «Avant les dernières élections, le conseiller du coin nous avait dit qu'avec la Coupe du monde, on allait arranger les choses pour nous, mais rien n'a été fait. C'était de fausses promesses, dit Cynthia Khohlakala, 28 ans. Les touristes étrangers nous ont donné des vêtements et des couvertures pour nos enfants, mais nos conseillers municipaux n'ont rien fait. Ils voulaient juste avoir nos votes.»

Christopher, lui, n'attend plus une maison du gouvernement. D'un petit boulot à l'autre, il espère accumuler assez d'argent pour acheter sa propre résidence. Je lui suggère que si l'État avait consacré au logement ne serait-ce que la moitié des milliards de rands qu'il a engloutis dans la Coupe du monde, bien des gens comme lui auraient déjà un toit permanent.

Après un mois passé à constater la passion des Sud-Africains pour le soccer, sa réaction ne m'étonne qu'à moitié. «C'est bien qu'il ait investi dans la Coupe du monde, me répond-il, les yeux brillants. Le soccer, c'est le sport par excellence. Lionel Messi est venu jouer ici!»

Du pain et des jeux, qu'ils disaient...