«Maâk yal Khadra!» Toute l'Algérie scandera ces mots aujourd'hui alors que l'équipe nationale algérienne disputera un match fatidique contre les États-Unis. Ce slogan, qui se traduit par «avec vous, les Verts», les stars des Fennecs ne le comprenaient pas l'an dernier. Voyez-vous, ils ne parlent pas l'arabe.

Étrange? L'équipe algérienne, qui s'est qualifiée pour la première fois en 24 ans pour le Mondial, a une caractéristique unique: des 23 joueurs sélectionnés pour représenter le pays à la Coupe du monde, 20 sont nés ou ont été élevés à l'étranger. En France, pour l'écrasante majorité.

Pour pouvoir recruter ce talent «d'origine algérienne» de l'autre côté de la Méditerranée, la Fédération de soccer algérienne a milité auprès de la FIFA pour faire changer les règles. Le 3 juin 2009, les Algériens ont eu gain de cause. Depuis, un joueur disposant de la double nationalité peut changer d'équipe nationale s'il n'a été préalablement sélectionné que par une équipe junior d'un autre pays. À la suite de cette décision, presque du jour au lendemain, les Verts ont changé de visage.

«J'ai alors eu peur que les fans disent que l'équipe n'était pas algérienne, explique le sociologue Nasser Djabi, de l'Université d'Alger. L'émigration en Algérie est un phénomène plutôt récent et l'exode des cerveaux vers la France et le Canada, notamment, a été mal vécu.»

Toujours marqués par l'histoire coloniale française et par la guerre d'indépendance qui a vu mourir près d'un million d'Algériens, certains en Algérie considèrent toujours que les exilés sont des traîtres. «Au début, les gens disaient que les joueurs étaient des fils de collabos (du colonisateur français), mais après la qualification et surtout, la victoire en novembre dernier contre l'Égypte à Khartoum, ils les appellent les fils de l'Algérie», rajoute M. Djabi.

Selon le sociologue, les premiers succès de l'équipe nationale après 20 ans de disette ont en partie permis aux Algériens de prendre conscience que la diaspora, loin d'être une perte nette pour le pays, peut aussi être un atout.

Pour le sélectionneur de l'équipe Rabah Saâdane, le recours aux Algériens de France est aussi un juste retour du balancier. «Nous profitons d'enfants issus de l'immigration algérienne, produits de la formation française. C'est un retour des choses assez amusant, vu que la France a profité de nos compatriotes partis travailler dans les usines et les chantiers dans les années 50, 60 et 70», a-t-il dit l'automne dernier en conférence de presse.

En Algérie, personne n'a oublié non plus que la victoire des Bleus à la Coupe du monde de 1998 reposait en partie sur les épaules d'un bi-national algérien. «On leur reprend nos Zidane», se réjouissait un jeune homme dans la vingtaine, rencontré dans un café du centre-ville d'Alger la semaine dernière.

Reconstruire le soccer algérien

S'il se réjouit de voir l'équipe nationale algérienne de retour dans les grandes ligues, Ali Fergani, qui a participé comme joueur à la Coupe du monde de 1982 avant de devenir lui-même entraîneur de l'équipe nationale, ne s'inquiète pas moins de l'avenir du soccer dans son pays. «Les résultats de l'équipe nationale et son parcours ne reflètent pas le niveau du football algérien. Tous les joueurs ont une carrière en Europe. À nos deux dernières participations au Mondial, en 1982 et en 1986, notre équipe était algérienne, issue de clubs algériens».

La victoire des Fennecs à la Coupe d'Afrique de 1990 a été le début d'une longue traversée du désert pour le soccer algérien, se souvient Ali Fergani. En 1992, alors que le pays sombrait dans la violence, les fonds consacrés au sport national se sont évaporés. «Même pendant la décennie noire, on a continué à jouer, mais pas avec les mêmes ressources», dit celui qui est toujours un héros aux yeux de ses compatriotes.

Comme beaucoup, Ali Fergani espère que la participation à la Coupe du monde en Afrique du Sud aura un effet à long terme sur le soccer algérien. Déjà, le gouvernement a annoncé des investissements importants dans la création d'équipes professionnelles et dans la construction de stades. «Dans l'état actuel des choses, l'Algérie est incapable d'engendrer d'autres Zidane.»