L'Afrique du Sud affronte aujourd'hui l'Uruguay dans son deuxième match de la Coupe du monde. Pour discuter de la place du soccer au pays des Bafana Bafana, Jean-François Bégin s'est entretenu avec Peter Alegi, professeur d'histoire à l'Université Michigan State et chercheur invité à l'Université du KwaZulu-Natal, à Pietermaritzburg, en Afrique du Sud. Il est l'auteur d'African Soccerscapes, un ouvrage paru au printemps qui s'intéresse à l'évolution du soccer en Afrique.

Q: Quelle est l'importance du soccer en Afrique du Sud par rapport à des sports comme le rugby et le cricket?

R: C'est le passe-temps national et le sport de prédilection de la vaste majorité des gens. À cause de la Coupe du monde, bien des Blancs se sont mis à s'intéresser au soccer ou du moins à soutenir l'organisation du tournoi. C'est intéressant dans une société où l'héritage du passé est encore bien présent et où les nouveaux défis rendent l'unité très difficile à atteindre. Ça ne veut pas dire que le rugby et le cricket ne sont pas appréciés. Mais ils n'ont pas la même résonance. Ils ne parlent pas au coeur et l'âme des gens comme le fait le soccer.

Q: Le défenseur Matthew Booth est le seul Blanc chez les Bafana Bafana. Est-ce que cela reflète le manque d'intérêt de la minorité blanche?

R: Pas nécessairement. Plusieurs membres de l'équipe sud-africaine qui a remporté la Coupe d'Afrique des nations en 1996 étaient blancs, dont le capitaine Neil Tovey, le défenseur Mark Fish, qui a connu beaucoup de succès en Europe, et l'entraîneur, Clive Barker. C'était un symbole extraordinaire du nationalisme arc-en-ciel si puissant à l'époque, mais dont la portée s'est beaucoup atténuée aujourd'hui. Une petite portion de la minorité blanche s'est toujours intéressée au soccer. Les Blancs ont eu leur propre ligue professionnelle pendant une vingtaine d'années, dans les années 60 et 70. Ce n'est pas un sport uniquement noir, même si, pour l'instant, la très grande majorité des spectateurs sont noirs.

Q: Vous avez mentionné la CAN 1996, qui avait lieu en Afrique du Sud. Peut-on comparer cette victoire avec celle des Springboks à la Coupe du monde de rugby, l'année précédente, qui a fait l'objet du film Invictus?

R: Les deux ont été très importantes, mais pour des raisons différentes. Nelson Mandela, en soutenant les Springboks (dont tous les joueurs étaient blancs, sauf un Métis) en 1995, savait qu'il affaiblirait la frange d'extrême-droite blanche, encore très réticente à appuyer la démocratie naissante. C'était un geste symbolique très important. Et ça a fonctionné. L'extrême-droite n'est plus la force destructive et meurtrière qu'elle était il y a 15 ans. La CAN était complètement différente. L'équipe de soccer était vraiment représentative de l'Afrique du Sud, avec des Noirs, des Métis, des Blancs. Les deux victoires ont uni les Sud-Africains, mais de manière différente. Le rugby a inclus les Blancs récalcitrants et plus conservateurs dans la nouvelle Afrique du Sud. Le soccer, lui, a validé l'approche empruntée par l'Afrique du Sud, en rassemblant des gens différents pour avoir du succès dans le sport sur la scène internationale. La nation avait besoin de ça au moment de se lancer dans le processus douloureux de la Commission vérité et réconciliation.

Q: L'objectif que poursuivait à l'époque l'Afrique du Sud en tenant ces championnats était-il le même que celui qui l'a motivée à organiser l'actuelle Coupe du monde?

R: Non. La Coupe du monde est un effort de marketing. Ce n'était pas le cas en 1995 et 1996. L'auditoire visé à l'époque était strictement national. Cette année, le public cible est international. On fait la promotion de la marque de commerce Afrique du Sud, cette idée d'une démocratie avancée sur le plan technologique. Il y a une fierté patriotique, mais le pays a des ambitions diplomatiques et espère aussi attirer des investissements et continuer d'attirer des touristes.