À peu près tout le monde connaît le Miracle on Ice, cette victoire improbable d'une bande de collégiens américains aux dépens de l'Union soviétique, aux Jeux olympiques de Lake Placid en 1980. Mais qui se souvient du Miracle... on Grass?

Harry Keough, lui, s'en rappelle très bien. L'arrière américain, qui s'était mis au soccer avec des Espagnols de son quartier, à St. Louis, était dans la jeune vingtaine quand il a participé à l'une des plus grandes surprises de l'histoire du soccer: la victoire de 1-0 des États-Unis contre l'Angleterre lors de la Coupe du monde de 1950, à Belo Horizonte, au Brésil.

«Nous étions des joueurs amateurs. Nous avions tous des emplois réguliers», me racontait récemment au téléphone ce postier à la retraite, aujourd'hui âgé de 83 ans. Un de ses coéquipiers conduisait des corbillards, quelques-uns étaient étudiants et un autre, Joey Gaetjens, auteur du but vainqueur, était plongeur dans un restaurant... et n'avait même pas la citoyenneté américaine. Une belle bande d'inconnus, donnée à 500 contre 1, qui était pourtant parvenue à vaincre les puissants Three Lions, grâce à une performance hallucinante du gardien Frank Borghi... et quelques tirs sur les poteaux.

«On n'avait pas une chance sur un million, dit Keough. Les deux équipes avaient bien joué, mais si elles avaient toutes les deux atteint leur potentiel, les Anglais nous auraient battus.»

Soixante ans plus tard, Keough et Borghi, deux des quatre survivants de l'équipe américaine, se réuniront à St. Louis, aujourd'hui. Ils regarderont l'équipe américaine tenter de répéter leur vieil exploit, lors de son premier match de la Coupe du monde de 2010, dans la ville minière de Rustenburg. Pour la deuxième fois seulement de l'histoire du tournoi, les États-Unis seront confrontés à l'Angleterre.

À part leur maillot, barré d'une diagonale comme celui de leurs illustres devanciers, Landon Donovan, Clint Dempsey et leurs coéquipiers n'ont pas grand-chose en commun avec les héros obscurs de 1950. Donovan vient de connaître trois mois superbes à Everton, en prêt du Galaxy de Los Angeles. L'autre milieu de terrain offensif, Dempsey, a atteint la finale de la Ligue Europa avec Fulham et a marqué contre l'Égypte, l'Espagne et le Brésil lors de la Coupe des Confédérations, l'an dernier. Le gardien Tim Howard - qui souffre du syndrome de Gilles de la Tourette - est l'un des meilleurs gardiens de la Premier League anglaise. Bref, tout sauf des amateurs. Une victoire américaine aujourd'hui, même si elle n'est pas le scénario le plus probable, ne serait assurément pas un miracle sur gazon.

***

Pour autant, les Anglais ne sont pas exactement des manchots. Après neuf victoires en 10 matchs qualificatifs pour le Mondial, plusieurs les voient comme des aspirants légitimes à un deuxième sacre, 44 ans après celui de Wembley. À commencer par l'entraîneur Fabio Capello, qui a déclaré hier qu'il avait l'équipe pour se rendre en finale. Ça ferait changement pour cette équipe habituée à être sortie en quarts.

Les Anglais ont toutefois subi une lourde perte quand leur capitaine, l'arrière central Rio Ferdinand, a déclaré forfait pour le tournoi il y a une semaine. Il a été victime d'une blessure ligamentaire au genou dans un match par ailleurs très ordinaire des Anglais contre une sélection sud-africaine. Son absence pourrait surtaxer son partenaire habituel, John Terry.

L'incertitude règne aussi au poste de gardien: Rob Green, Joe Hart et David James n'inspirent pas la plus grande des confiances. Capello doit aussi décider s'il fera jouer le milieu Steven Gerrard aux côtés de Frank Lampard - un partenariat peu efficace dans le passé, malgré l'immense talent des deux individus - ou alors à gauche ou même derrière le talisman de l'équipe anglaise, l'attaquant Wayne Rooney. Le pitbull de Manchester United est présentement l'un des trois ou quatre meilleurs joueurs de la planète, aux côtés des Lionel Messi et Cristiano Ronaldo. Le genre de joueur que je paierais pour voir jouer.

Ça tombe bien, je serai à Rustenburg.

***

J'aurais bien aimé aller discuter de tout ça avec les joueurs des deux équipes. Malheureusement, les défis posés par l'infernale congestion routière qui sévit à Johannesburg compliquent drôlement le travail des journalistes.

Oublions les Anglais, qui sont établis à Rustenburg, à deux bonnes heures de route. Je devais aller à une conférence de presse de Landon Donovan et de l'entraîneur Bob Bradley, l'autre jour, au centre d'entraînement des Américains, à mi-chemin entre Jo'burg (comme on dit ici) et Pretoria. Une demi-heure de voiture si tout va bien. C'est-à-dire à condition de ne pas se retrouver coincé dans une manifestation monstre en appui aux Bafana Bafana, comme ça m'est arrivé. Je ne me suis jamais rendu chez les Américains. En fait, je ne suis même pas parti. Le temps que la foule se disperse et que je puisse repartir, la conférence de presse était déjà terminée.

Tout ça pour dire que lorsqu'on veut couvrir un entraînement et/ou une conférence de presse en plus d'un match dans une journée, on est mieux de se lever tôt. Ça tombe bien (attention, ironie): avec le décalage qui ne me lâche pas, je me réveille vers trois heures du matin!