Quand elle est tombée, le premier réflexe de Dominique Maltais a été de bouger les pieds. Puis elle s'est mise à tousser. Un liquide inhabituel commençait à emplir le fond de sa gorge. Elle a été prise de panique quand elle s'est mise à cracher du sang dans la neige.

La planchiste a quand même refusé l'offre des secouristes de descendre en civière. Hors de question d'inquiéter ses parents et amis assis dans les gradins au bas de la piste embrumée de Cypress. De tels symptômes, ont dit les médecins, on ne voit ça que chez des accidentés de la route. Elle apprendra plus tard qu'elle souffrait d'une contusion pulmonaire et d'un pneumothorax.

La compétition commençait dans une vingtaine de minutes. Elle devait se décider: j'y vais ou pas? Elle a pensé aux quatre ans d'effort pour se rendre jusque-là. Aux gens qui l'ont supportée et encouragée. À ses grands-parents et à deux amis décédés. Ils l'aideraient à passer à travers, espérait-elle.

Elle était trop amochée pour se rendre elle-même au haut du parcours. Un motoneigiste a été appelé en renfort. Raide comme une barre, elle a chuté à sa première descente de qualification de l'épreuve de snowboardcross. Au deuxième essai, son esprit n'y était plus.

Ses Jeux olympiques étaient finis. Elle, l'espoir local, la médaillée de bronze de Turin, celle qui était montée sur le podium presque à chaque course avant Vancouver. Elle a appelé son père pour s'excuser. Le deuil restait à faire.

Neuf mois plus tard, les émotions sont encore vives quand Dominique Maltais raconte sa «destruction» aux Jeux olympiques de Vancouver. Même si elle est à des milliers de kilomètres, quelque part dans un village autrichien, où elle amorcera mardi prochain une nouvelle saison de Coupe du monde.

«C'est sûr que j'y pense encore, dit-elle au téléphone. C'est tellement un événement majeur dans mon sport, dans le sport amateur. Aussi dans ma carrière d'athlète. Ça m'a pris du temps. J'y ai pensé tout l'été. J'étais détruite. Autant moralement que physiquement. J'ai trouvé ça dur.»

Sur le coup, Maltais a été prise d'une rage. Elle est repartie sur le circuit de la Coupe du monde avec l'envie de «tout arracher». Moins d'un mois après les JO, elle a fini troisième d'une Coupe du monde en Italie. Elle est revenue à la maison en pensant déjà aux Jeux de Sotchi en 2014. Elle faisait du déni.

«Je suis vite retombée dans la réalité, dit l'athlète de 30 ans. J'ai compris ce qui m'était arrivé. Tu trouves ça moins drôle.»

Après des années à voyager aux quatre coins du globe, elle est retournée aux sources. Elle a passé trois mois dans sa maison de Petite-Rivière-Saint-François. Elle a revu son chum, ses parents, ses amis. Elle a pensé à elle, à autre chose que la planche. Elle a découvert des sports qu'elle souhaitait pratiquer depuis longtemps, le kitesurfing, le wakeboard. Elle a fait beaucoup de vélo sur les belles routes de Charlevoix.

Maltais s'est aussi fait opérer durant l'été. Les radiographies aux Jeux avaient révélé une anomalie physiologique, qui n'était pas liée à sa blessure. Elle préfère ne pas en dire davantage. «Ce n'est rien de majeur, mais ça aurait pu être très douloureux et mal se finir. Si je n'étais pas tombée à Vancouver, je ne l'aurais jamais su. Aujourd'hui, tout est réglé. Il y a au moins eu ça de positif.»

À l'aube de la nouvelle saison, difficile pour Maltais d'échapper à son drame de Vancouver. Maëlle Ricker, sa coéquipière et amie, est devenue une héroïne en remportant l'or chez elle. «D'un côté, je suis contente pour elle, mais c'est sûr que ça rend la chose encore plus difficile, admet la Québécoise. J'en ai entendu parler pendant des semaines. Encore aujourd'hui, je constate les répercussions. Je vois très bien ce que j'ai manqué.»

Il faut quand même tourner la page. La grande athlète de 5'11 se dit plus en forme que jamais. Elle a un nouveau préparateur physique, Chris Rozdilsky, du Premier Studio à Montréal, le même gym où s'entraînent Alexandre Bilodeau, Jennifer Heil et maintenant Clara Hughes.

Elle rêvait depuis longtemps d'un plan d'entraînement personnalisé. Saputo, son commanditaire, l'a mise en lien avec le Premier Studio et assume les frais. «J'ai appris une autre manière de m'entraîner. L'entraîneur est à temps plein avec moi et n'a pas à s'occuper de 10 athlètes.»

Ses départs, jadis un point faible, sont encore plus explosifs, sent-elle. Le portillon qu'un voisin lui a fabriqué derrière sa maison a encore beaucoup servi.

Son hiver s'annonce chargé, avec sept épreuves de Coupe du monde, dont celle de Stoneham en février, les championnats du monde de La Molina, en Espagne, et les X Games d'Aspen, au Colorado. «Il y a encore de beaux titres à remporter. Comme d'habitude, je ne prends pas le départ pour arriver dernière. Ça s'annonce très positif.»

Pense-t-elle encore à Sotchi? «50-50», évalue-t-elle. La passion est encore là, mais son échec de Vancouver l'a fait réfléchir. Elle se demande si ça vaut la peine de s'engager pour quatre ans et tout jouer en une journée sur un «coup de dé».

Surtout, elle pense à sa santé. Un genou opéré il y a quatre ans la fait encore souffrir. Et il y a cet emploi de pompière à la Ville de Montréal qui l'attend après un congé sabbatique commencé en 2005.

«Ça reste du sport amateur, rappelle Maltais. À un moment donné, il va falloir que je retourne travailler. Plus je retarde, plus ça risque d'être dur. Je veux être en forme pour le faire. Je ne veux pas arriver détruite parce que je me suis trop pété la gueule.»

Comme elle le dit, ça reste du sport.